Cette année marquait la 17ème édition des Assises internationales du journalisme de Tours. Jeudi 28 mars avait lieu une conférence sur les violences sexistes et sexuelles dans le journalisme sportif. Mathieu Martinière, journaliste indépendant et membre du collectif We Report s’est confié sur son enquête “Le revers de la médaille”, une investigation qui revient sur les violences sexuelles dans le sport.
Vous avez révélé 77 affaires de pédophilie dans le milieu sportif, pouvez-vous nous en parler davantage ?
« En 2016-2017, nous avions déjà fait une enquête similaire sur la pédophilie dans les églises pour Médiapart. Pour le sport, on a repris exactement la même méthode.
Il y avait un peu les mêmes problématiques, dans le sens où il y a quelque chose de très institutionnel et corporate avec des gens qui défendent leur club, leur fédération. Auparavant, des enquêtes sur les violences sexuelles dans le sport étaient abordées, mais jamais en profondeur et pas avec la méthode qu’on voulait appliquer, c’est-à-dire le journalisme data. Quand j’ai proposé ce sujet à Disclose, j’étais persuadé que nous allions découvrir beaucoup de cas car nous avions eu des échos lors de notre enquête sur l’Église ».
Pendant la conférence, la journaliste Alizée Vincent a mentionné le retard de la presse sportive par rapport à d’autres milieux, qu’en pensez-vous ?
« C’est pas complètement vrai, je pourrais plus le dire pour l’Église. Le journal L’Equipe avait quand même fait des choses, même si ce n’est pas venu d’eux directement.
À l’époque quand on traitait ce sujet, c’était encore tabou. Il y a eu une vague de révélations dans les médias sur les violences sexuelles. Néanmoins aujourd’hui, il y a ce truc de la médaille, la pression que tu peux avoir, d’où le nom de notre enquête Le revers de la médaille. Cette pression là va faire que tu vas te taire.
L’enquête a permis de médiatiser un peu les choses, et tout de suite le ministère des Sports a mis en place une cellule. »
La révélation des affaires de violences sexuelles dans le milieu sportif se font rares, quelles sont les raisons de ce silence ?
« Dans ces affaires-là, il y a souvent un décalage entre les moments où il y a des agressions et le moment où les victimes parlent. Quand t’es dans un système comme le sport où il y a énormément d’enjeux, des entraîneurs, des présidents de ligue, de club ou encore de fédération, ça ne t’encourage pas à parler. Tout ça a changé. Des moyens de sensibilisation sont mis en place mais il y a encore énormément de travail à faire dans les fédérations.
Je pense qu’on a contribué à mettre en lumière le fameux article du Code du sport. C’est un article qui indique que tout entraîneur qui est condamné ne peut plus exercer. Cette loi est ignorée de beaucoup et pourtant elle entraîne de lourdes conséquences : des entraîneurs qui exercent depuis 20 ou 30 ans ont été dans l’obligation d’arrêter du jour au lendemain.»
Comment gérer émotionnellement des sujets aussi lourds en tant que journaliste ?
« Je pense que ce qui nous fait tenir, c’est de travailler en collectif, de ne pas s’isoler. Les émotions peuvent être un moteur, une victime qui n’a pas été entendue, ça fout la rage ! Après il faut faire attention, il faut être dans l’empathie sans l’être complètement avec les victimes. Il ne faut pas rompre le contrat avec l’agresseur, qui peut t’apporter de vraies réponses.
C’est pour ça qu’il y a pleins de journalistes qui ne traitent pas ce genre de sujets, c’est difficile. Avec Daphné Gastaldi, ma consœur pour l’enquête, nous avons arrêté ces sujets-là pour éviter justement d’avoir des traumas. Il m’arrivait parfois de devenir insensible. Néanmoins, le côté “adrénaline” de l’enquête et le fait d’avoir un impact, d’aider un certains nombres de victimes : ça n’a pas de prix ».
Elise Blanchard et Sandra Lochon