Lorsque l’on analyse les résultats d’un scrutin, on raisonne d’abord en pourcentage des suffrages exprimés, ce qui est logique puisque cette donnée conditionne le maintien ou non au second tour et les chances de victoire. Mais si on veut comprendre le sens du scrutin, la façon dont les électeurs se sont comportés, ce qui a changé par rapport au précédent scrutin comparable, alors il faut entrer dans le détail des chiffres. Il faut se livrer à une analyse en nombre de voix, en prenant comme unité de compte, le bureau de vote (très souvent hébergé dans une école ou un autre bâtiment public), et en regardant dans le détail les évolutions constatables. Bien sûr, il faut rester prudent, car cette analyse reste interprétative. Se dessinent des mouvements de voix qui laissent à penser qu’il y a des changements dans les orientations du vote chez les électeurs d’un même bureau.

Mais, attention ! Les Français sont de plus en plus tentés par « l’intermittence du vote », passant d’une mobilisation à une élection à une abstention, politiquement signifiante ou juste fruit d’une lassitude passagère. Ces intermittents du vote peuvent suivant les quartiers et le profil sociologique représenter de 25 à 70% des inscrits dans les cas extrêmes. Autrement dit quand 100 électeurs vont voter une année, il faut garder en tête que lors d’un scrutin suivant, avec à nouveau 100 électeurs qui se déplacent, si cela se trouve, 25, 40 voire 50 électeurs sont nouveaux. Ceci étant posé, il reste pertinent de se livrer à l’analyse des voix par bureau de vote, car cela donne quand même des pistes d’interprétation.

Pour les élections municipales à Metz, entre 2008 et 2014, on vit une situation intéressante. Plusieurs acteurs identiques se font face lors des 2 scrutins, et par ailleurs, on a dans le jeu un acteur singulier, Jean-Marie Rausch, en 2008, maire sortant qui représentait une sensibilité de centre droit mais aussi plus atypique, car 7 mandats et 37 années de gestion, ont forcément créé des habitudes de vote liées au facteur personnel, des « rauschistes » donc. Que devient donc cet électorat, le choc passé de la retraite politique de leur « champion » ? En 2014, le candidat singulier, c’est Françoise Grolet, du Front national, singulier, car en 2008, ce parti n’avait pas pu bâtir de liste complète et était donc absent du scrutin. Quel score allait-elle obtenir et où ? Le vote FN ramène-t-il au vote un électorat « orphelin » ou bien gagne-t-il sur les autres forces politiques ? Quelle influence ont ses deux électorats sur le résultat des deux candidats arrivés en tête D. Gros (12441voix) et M.-J. Zimmermann (11939 voix) ? Pour répondre à toutes ces questions, revenons sur les cinq leçons de ce scrutin.

1°- L’équipe sortante socialiste a subi à Metz la même vague de désaveu de son électorat de gauche que partout ailleurs en France.

On a bien vu dès dimanche que nombre d’électeurs de gauche se sont livrés à une « abstention sanction », leur non déplacement aux urnes signifiant leur mécontentement global pour la politique de l’exécutif socialiste en place. Dans ses « places fortes » de 2008, D. Gros a ainsi perdu plus d’un cinquième de ses soutiens jusqu’au record de – 40% à la Patrotte ! À l’exception d’un des deux bureaux de l’hôtel de ville, où il obtient quasiment le même score, partout ailleurs il perd des voix.

On peut constater également que 5 de ses 10 bureaux sont ceux où le Front National a obtenu parmi ses meilleurs scores en termes de voix. Cela peut laisser à penser que chez certains électeurs l’abstention sanction aurait pu se transformer en un vote sanction, direction le Front National. Même s’il faut aussi pointer que la composition sociologique des quartiers concernés laisse à penser que le bon score du FN provient d’abstentionnistes que ce parti a su réveiller.

2° Mais Dominique Gros réussit à compenser ces pertes en attirant de nouveaux électeurs !

Sans un apport conséquent de nouveaux électeurs qui n’avaient pas voté pour lui en 2008, le retrait du socle électoral de gauche aurait plongé le maire sortant dans un ballotage très périlleux. Ce n’est pas le cas. Cela signifie qu’il a engrangé des soutiens dans d’autres bureaux de vote, où il n’avait pas fait ses meilleurs scores il y a 6 ans. Il obtient donc dans certains quartiers une progression extrêmement forte. Au Sablon, école du cavalier bleu, il progresse de 84% en voix ! De 77% à l’école Camille Hilaire à Queuleu. De 66% tout près de Borny, à l’école des Primevères.

Si on regarde ce qui se passe du côté des bureaux de vote où Jean-Marie Rausch avait obtenu le plus de suffrages, on s’aperçoit que le sort de D. Gros est contrasté. Mais ce qui domine ce sont des situations de gains nets, comme à la mairie de quartier de Queuleu (+25%) ou des pertes très faibles (moins d’une quinzaine de voix perdues). Si on met toutes ses données ensemble, on peut en conclure que D. Gros, grâce à un cocktail (sa personnalité, son premier bilan et sans doute des rancunes tenaces entre anciens soutiens du maire et la candidate qui a osé le défier en 2008 jusqu’à le faire choir)  a réussi à capter vers lui une partie de l’électorat « rauschiste ». Ce qui lui a permis dans certains bureaux de compenser quasi intégralement les pertes liées à une démobilisation de l’électorat de gauche. Précisons que le facteur personnel était devenu très important dans le vote pour l’ancien maire. On sait que des électeurs habituellement de gauche ont voté régulièrement pour M. Rausch. Ces profils d’électeurs ont donc peut-être tout simplement « regagné le bercail » en allant voter pour D. Gros.

3° La liste Zimmermann n’a pas réussi à impulser une dynamique liée à l’union des droites.

En 2008, tout le monde a pu aisément s’accorder à dire que le candidat socialiste a pu l’emporter grâce à l’extrême éparpillement des listes à droite, qui ne pouvaient que difficilement se réconcilier entre les deux tours. Leçon en a été tirée, puisque cette fois ci, 3 des candidats qui partaient désunis en 2008 ont fait alliance dès le 1er tour. Et comme J.-M. Rausch est hors-jeu désormais, cela laissait à priori un boulevard à la députée UMP.

Rappelons le beau potentiel électoral de la droite et du centre à Metz au 1er tour des municipales, pour en constater l’incroyablement l’érosion. En additionnant les voix de J.M. Rausch et d’autres candidats se revendiquant de la droite parlementaire, on avait un potentiel électoral de :

24.000 voix en 1995 ;

16.900 voix en 2001 (il y avait une liste FN) ;

22.000 voix en 2008 (sans liste FN) ;

18.400 voix (1er tour présidentielle 2012)

11.939 voix en 2014 (avec un FN à 7433 voix,  à mi-chemin entre le score obtenu par Jean-Marie Le Pen en 2007 (5600) et Marine Le Pen en 2012 (8700).

La liste Zimmermann n’a pas réussi à l’occasion de ce premier tour à potentialiser tout cet électorat. Et la logique d’alliance dès le 1er tour entre 3 des concurrents de 2008 n’a pas créé de synergie, n’a pas enclenché une mécanique vertueuse de ralliement à cette dynamique. Si on additionne le score obtenu par les 3 candidats afin de déterminer les 10 meilleurs bureaux pour eux, on obtient un bilan très contrasté avec un gain maximal de 24% de voix en plus, ou des gains assez minimes, et pire : des pertes allant du minime (-1,4%) à un plus cinglant -32% dans un des bureaux de la Seille. Et globalement le bilan est très décevant : l’addition globale des 3 candidats donnait en 2008 13324 voix et cela tombe à 11939 voix dimanche, soit une disparition sèche de 10% de leur électorat, dans un climat national plutôt très favorable à la droite parlementaire.

4° La liste Zimmermann ne capte pas bien l’ancien électorat de Jean-Marie Rausch

Et si cette fois, on applique le même calcul que pour D. Gros, en comparant les scores dans les 10 bureaux les plus « rauschistes » de 2008, on touche du doigt le défaut de conviction de cette liste d’union des droites et du centre à rallier l’électorat de l’ancien maire. Quelques gains, compensés par des pertes ailleurs et au total un bilan modeste : +3% de voix en plus entre 2008 et 2014, comme si cet électorat n’était pas fongible avec l’UMP, ou en tout cas pas tant que dirigé par la rivale de 2008.

La liste dirigée par la députée UMP de Metz sort donc affaiblie d’une confrontation où on pouvait penser qu’elle virerait en tête à l’issue du 1er tour. L’alliance initiale n’a pas produit la dynamique espérée, l’héritage rauschiste est partiellement capté par Dominique Gros, et elle subit une lourde concurrence du Front National sur son flanc droit, qui explique aussi le tassement de son score électoral.

5° Le Front National semble mordre sur les deux électorats UMP & PS

Le Front national n’ayant pas été présent en 2008 à Metz, sa réapparition dans le jeu électoral perturbe fatalement les projections sur la base des résultats de 2008. Si on cherche à mesurer cet effet perturbateur, on doit comparer les scores obtenus en 2008 et 2014 par les deux principales listes dans les bureaux où le FN obtient ses meilleurs scores.  Or on peut constater dans le tableau ci-dessous que là où il fait le plus de voix c’est dans des bureaux où et D. Gros et M.-J. Zimmermann régressent en voix. Il est probable qu’une partie de ceux qui font défaut à la candidate UMP sont allés protester du côté du Front National. Pour ce qui est des scores en baisse de D. Gros, deux explications possibles cohabitent : certains électeurs de gauche déçus et/ou orphelins en 2008 et ayant voté à gauche, « par défaut » s’en retourneraient vers leur famille politique naturelle. Autre hypothèse, plus probable, on voit une illustration de l’intermittence du vote : dans le même bureau, certains électeurs de gauche déçus, font la grève du soutien à leur maire, pendant que des abstentionnistes de 2008 reviennent dans l’isoloir car l’offre électoral leur convient cette fois et/ou qu’ils sont exaspérés contre la politique nationale conduite par l’exécutif socialiste.

 

Perspectives pour dimanche :

Ce scrutin est marqué par des paradoxes. Le candidat PS a subi un effritement assez net de sa base électorale acquise, ce qui aurait dû l’affaiblir, mais il a su compenser en trouvant des soutiens au-delà de son camp, grâce à sa position de maire sortant, avec une visibilité et une notoriété acquise. Son adversaire UMP qui avait un réservoir important de voix dans son propre camp, dans cette ville de droite depuis toujours, est loin d’avoir réussi à le potentialiser et se retrouve avec surprise en ballotage défavorable. Sans doute les plaies des désunions d’antan ne sont-elles pas entièrement cicatrisées, les conditions de la confiance ne sont-elles pas toutes réunies. Le second tour n’en conserve pas moins un peu d’incertitude, puisqu’on aura compris que chaque candidat possède un réservoir de voix non négligeable. Si l’un des deux arrive à beaucoup le remobiliser et pas l’autre, cela ferait basculer le scrutin.