« Cachez ce livre que vous ne devriez lire ». Telle aurait pu être la demande, parodiant Tartuffe de Molière, faite à Zoé par deux policiers samedi 5 octobre devant la gare de Metz. La jeune femme a été contrôlée parce qu’elle lisait le dernier livre de David Dufresne.
Samedi 5 octobre, Zoé 21 ans, est à Metz pour profiter du festival de la bière. À 13 h, indécise sur la suite de sa journée, elle décide de s’installer sur un banc devant la gare et de lire un livre acheté la veille. C’est Dernière sommation, le premier roman du journaliste David Dufresne. Reconnu entre autres pour son travail approfondi sur le maintien de l’ordre en France, il s’illustre depuis plusieurs mois en interpellant le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, sur l’usage de la violence par les forces de l’ordre lors des manifestations des gilets jaunes. Il compile, notamment, les blessures infligées et les actes litigieux avec le hashtag « Allo @place_beauveau » sur Twitter.
« C’est comme ça ! »
Assise depuis un quart d’heure, plongée dans sa lecture, Zoé en est extraite par une patrouille de deux policiers. « Ils m’ont demandé une pièce d’identité », raconte la jeune femme aux cheveux blonds, courts et aux yeux bleus. « J’ai alors demandé : Pourquoi ? » La première réponse : « C’est comme ça ! », ne lui convient pas. Elle insiste et redemande le motif. « C’est votre lecture », répond le premier agent. Devant son air interloqué, le second justifie : « C’est un livre anti-flics ! » « Vous l’avez lu ? », ose Zoé. « Pas besoin, on sait ce qu’il fait ce gars-là et commencez pas, sinon c’est la garde à vue ! » Choquée, Zoé obtempère, fournit sa carte d’identité et se plie à la fouille de son sac. Un exemplaire de L’anticapitaliste, hebdomadaire du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA), lui vaut d’autres sarcasmes.
« En faisant ce qu’ils font, des gens n’ont plus confiance en eux »
La scène n’a duré qu’une dizaine de minutes. Le duo de policiers laisse la lectrice tranquille, mais désabusée. « J’ai une certaine habitude des contrôles. J’ai fait plusieurs manifestations de gilets jaunes, mais là je n’ai pas compris », confie celle qui, en famille, a participé à plusieurs rassemblements de gilets jaunes dans l’Est et à Paris depuis novembre 2018. Attristée, elle constate : « En faisant ce qu’ils font, des gens n’ont plus confiance en eux. ». « Avant j’avais du respect pour la police. », poursuit Zoé. Titulaire d’un baccalauréat S, elle espère continuer ses études pour devenir… médecin légiste.
« Comme si je n’avais que ça à faire »
Cet événement, presque anodin, voire croquignolesque penseront certains, un banal contrôle d’identité, laisse un goût amer. À Zoé d’abord, qui s’est confiée sur Twitter.
Elle a reçu des messages de soutien. David Dufresne lui-même a parlé avec elle. « Je me suis dit : Waouh, il est impliqué ! » s’exclame-t-elle. Mais il y a eu aussi d’autres types de réactions. « On m’a envoyé : “Elle ment pour être likée par son idole !” Comme si je n’avais que ça à faire », rétorque Zoé.
Amertume aussi, par les questions soulevées : le motif du contrôle, l’avis des agents sur l’auteur, ceux qui le lisent. L’écrivain et sa lectrice se les posent. Entre eux, un rendez-vous est pris certainement à l’occasion de la dédicace de David Dufresne dans la librairie Autour du Monde à Metz le 28 novembre. « Il m’a dit qu’il me devait bien ça pour le contrôle », sourit Zoé « Mais c’est pas sa faute », conclut-elle.
Contacté, l’Hôtel de police de Metz n’a pas répondu à nos questions.
Correction, le 25 novembre : la date du contrôle, annoncée par erreur comme ayant eu lieu le 12 octobre, a été rectifiée au 5 octobre. Merci au Républicain lorrain qui, dans un article consacré à cette affaire, a relevé cette incohérence qui nous avait échappé !