Depuis plusieurs semaines, le sujet de la grippe A est omniprésent dans l’ensemble des médias français. Que ce soit à la télévision, à la radio ou dans la presse écrite, le virus H1N1 est la principale information développée, au point d’éclipser toutes les autres. Ne se passe-t-il donc rien de plus important en France et dans le monde ? L’ultra-médiatisation de cette possible pandémie est-elle réellement justifiée ?
Paranoïa généralisée
Depuis l’apparition des premiers cas dans l’Hexagone (10 000 nouveaux cas par semaine aujourd’hui), le ministère de la Santé met les bouchées doubles en terme de communication et de dépenses. Campagnes de sensibilisation par le biais de spots télévisés et radiophoniques. Affiches placardées dans tous les lieux publics. Messages vocaux en boucle dans les gares et les aéroports. Enseignants mis en état d’alerte et contraints de faire passer à leurs élèves des messages alarmistes ainsi que de leur exposer (démonstration à l’appui !) les gestes censés limiter les risques de transmission du virus, etc. En plus de ces coûteuses campagnes d’information, 900 millions d’euros ont été dépensés dans l’achat de vaccins, 45 millions pour se doter de masques en quantités exorbitantes, et les stocks de Tamiflu (médicament anti-grippal classique, présenté comme également efficace contre le virus H1N1) ont été fortement consolidés. Au total, ce sont donc quasiment 2 milliards d’euros d’argent public qui ont été dépensés (chiffre officiel), alors que la pandémie vient tout juste d’être officialisée. Compte tenu des dépenses faramineuses de l’État et de l’emballement médiatique, c’est que l’heure est grave, et il est urgent que chacun en prenne conscience. Bref, c’est du sérieux !
Les médias sont tellement focalisés sur ce sujet qu’ils ont même fini par en « oublier » de traiter une part non négligeable du reste de l’actualité. Tenez, par exemple, Jean-Pierre Pernaut (pourtant un modèle de professionnalisme, unanimement reconnu pour la pertinence de ses analyses et son traitement rigoureux des questions de fond), a consacré lundi dernier en ouverture de son journal de 13h sur TF1 plus de 12 minutes au problème de la grippe A. Rien sur la pléiade de plans sociaux et de licenciements en cours et à venir, le niveau record du chômage, le dérapage verbal de Brice Hortefeux, le doigt d’honneur d’Éric Besson à son « ami » journaliste de Canal+, les vagues de contestation en Iran et au Gabon, les bonus records que s’apprêtent à toucher les traders et les dirigeants des banques, etc. Insignifiantes informations comparées au cataclysme annoncé !
Cette paranoïa généralisée ne peut avoir qu’une seule explication rationnelle: la grippe A est une maladie d’une gravité encore jamais vue depuis la Peste noire, et une épidémie incontrôlée décimera la population française au point de bouleverser la pyramide des âges pour plusieurs décennies. Mais alors d’où vient cette impression de déjà-vu ? Masques, Tamiflu, grippe A, grippe A… GRIPPE AVIAIRE !! Vous vous souvenez, ce virus soi-disant dévastateur qui avait semé une panique planétaire il y a à peine quelque temps ? Ladite grippe avait fini par décimer…seulement des forêts, vu la quantité d’articles consacrés à ce sujet dans les journaux ! Même les médecins généralistes expriment leur inquiétude…devant l’attitude « alarmiste » du gouvernement face à une «grippette, bien moins dangereuse que la grippe saisonnière», dixit Debré, médecin et député UMP.
Petits arrangements avec la réalité
Le virus H1N1 n’a donc pas la virulence du sida et ne menace pas le centième des victimes annuelles du paludisme (plus de 2 millions). La débauche d’argent, d’énergie et de commentaires médiatiques semble ainsi pour le moins disproportionnée. L’exécutif ne pouvant ignorer toutes ces données, son comportement, sa communication et ses décisions seraient par conséquent dictés par un autre impératif que celui de la stricte préservation de la santé publique.
Ces quelques petits arrangements avec la réalité permettent au gouvernement de faire d’une pierre deux coups. Premièrement, créer un véritable « rideau de fumée » derrière lequel s’abriter, afin de ne pas avoir à exposer les vrais problèmes et se poser les bonnes questions. Deuxièmement, semer durablement dans l’esprit des gens des inquiétudes et des angoisses relativement infondées. Cette véritable « politique de la Terreur » s’avère terriblement efficace pour leur faire accepter nombre de dispositions qu’ils ne toléreraient pas en temps normal. Manipuler une population qui a peur est chose facile pour des as de la communication, Goebbels vous le confirmerait volontiers. Les mesures liberticides aux USA au lendemain des attentats du 11 Septembre 2001 en sont un autre parfait exemple.
Sous couvert de défense effrénée de l’intérêt général, le gouvernement, avec la complicité des médias, a réussi à « faire diversion ». Exit les échecs en matière économique et sociale, l’incapacité à réformer un système financier destructeur, inefficace et injuste, les réformes sécuritaires, etc. La grippe A n’est qu’une maladie parmi tant d’autres, et pas des plus nuisibles en l’état. Elle est l’arbre qui cache la forêt de l’incompétence et du manque de courage politique. Et comme le disait Jules Romains: «Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide».
Thomas Remy