Plus de quinze ans après la première grande loi de 2000 sur la parité dans le monde politique, de nets progrès ont été enregistrés. Mais si les collectivités locales affichent aujourd’hui un nombre de femmes relativement similaire à celui des hommes, subsistent toujours, si on gratte un peu, de nombreuses zones d’ombre. Quid de la place des femmes dans la politique française, en 2016 ?
« Les partis donnent beaucoup plus leur place aux femmes que par le passé, notamment (…) aux élections régionales, départementales ou municipales », confirme d’emblée Étienne Criqui, directeur du Centre Européen Universitaire et ancien doyen de la faculté de droit de Nancy. Pour lui, le constat est sans appel, depuis les années 2000 on assiste à une féminisation de classe politique. Il est vrai qu’elles partaient de loin. À la fin des années 1990, on comptait selon les conseils régionaux entre 25 et 30% de femmes. Aujourd’hui, ce chiffre avoisine les 50%, sur l’ensemble du territoire.
En Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne, on constate que ces bons résultats ont peu changé entre les élections régionales de 2010, et celle de 2015. Lors de ces deux mandatures, si le nombre d’hommes a été légèrement supérieur à la marge, on a enregistré une part non négligeable de femmes parmi les élus. « Nous ne sommes pas à une parité parfaite, mais nous en sommes très proche », estime ainsi Étienne Criqui.
Le diable se cache dans les détails
Cette entrée massive des femmes sur la scène politique régionale s’explique principalement par la première grande loi sur la parité en date de juin 2000. Le texte avait prévu la parité pour l’ensemble des listes de candidatures aux élections locales. Dès 2004, on a ainsi assisté à une arrivée en force des femmes au sein des conseils régionaux. Pour le chercheur en sciences politiques, « la progression a été spectaculaire, même s’il reste toujours quelques zones d’ombres ». Car le diable se cache bien dans les détails. À y regarder de plus près, les postes les plus à responsabilités continuent bien d’être trustés par les hommes. Sur les 17 présidents de conseils régionaux élus en 2015, on ne compte toujours que trois femmes. Pour Joëlle Barat, conseillère régionale socialiste dans le Grand Est : « Ce qui pose problème, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de femmes têtes de liste (lors des élections ndlr). Les hommes ont tellement été présents jusqu’alors, que les regards se tournent forcément plus vers eux pour les postes clés. » Un constat que confirme aussi Étienne Criqui. « Depuis la fusion des régions, le poste de président du Conseil régional est devenu un enjeu politique de premier plan, on y trouve des poids lourds (…), et les hommes n’ont pas voulu céder leur place », ajoute-t-il.
Pourtant, en janvier 2007, un deuxième volet de la loi sur la parité a été voté. Ce nouveau texte a élargi l’obligation de parité aux exécutifs locaux, en obligeant les partis à présenter des listes paritaires. En clair, les fonctions de vice-présidents de Conseil régional doivent depuis cette date être réparties équitablement entre hommes et femmes. Mais malgré ces efforts consentis en faveur de la parité, les femmes présidentes de région demeurent une exception en France.
« Lorsqu’il n’y a pas de contraintes légales, les hommes sont prédominants »
On touche ici aux limites des lois sur la parité. Porter en tête de liste d’une élection un homme plutôt qu’une femme reste bien le choix des partis politiques. « Sauf à imaginer des systèmes mixtes de coprésidence au sommet des conseils régionaux, jamais la loi ne pourra imposer aux partis politiques de choisir une femme plutôt qu’un homme », explique Étienne Criqui. Or le chercheur est clair : « On sait que lorsqu’il n’y a pas de contraintes légales, les hommes sont prédominants. » Il semble donc bien qu’au-delà des lois sur la parité, il faille opérer un réel changement des mentalités au sein de la classe politique, qui paraît encore marquée par certains réflexes.
Une position que confirme Lilla Merabet. Pour la vice-présidente de la région Grand Est en charge de l’innovation, la question se joue avant tout en interne. « Certains partis disent qu’il est difficile de trouver des femmes pour les postes les plus à responsabilité, mais c’est comme dans un sport de haut niveau, il faut entraîner les gens puis les faire monter, c’est là que tout se joue », lance-t-elle avant d’ajouter, « sur les bancs des universités ou des grandes écoles, on trouve autant de femmes que d’hommes. » Pour cette élue Les Républicains, il y aurait un « cap de génération » à passer, un ensemble de vieux « réflexes » favorisant la place des hommes. Or, cette situation aurait aussi un impact direct sur les femmes qui auraient parfois tendance à se sous-estimer, selon Joëlle Barat. « Un homme ne se pose pas de question quand on lui propose d’être tête de liste, mais ce n’est pas le cas de toutes les femmes. Elles peuvent se demander si elles ont vraiment les compétences nécessaires et se fixent elles-mêmes des barrières », avance l’élue du Parti socialiste.
Derrière les « progrès » affichés par les collectivités territoriales en terme de parité, se cache donc une réalité plus contrastée. Et si depuis les années 2000, les femmes sont mieux représentées sur la scène locale, au niveau national l’écart avec les hommes reste flagrant. En 2016, sur les 577 députés que compte l’Assemblée nationale, on ne trouve que 150 femmes. Mais plus globalement, c’est la question de la représentativité des élus qui se pose. On constate qu’au sein même des femmes élues au Conseil régional du Grand Est, plus de 40% appartenaient à la catégorie des « cadres et professions intellectuelles supérieures », alors que seulement 11% faisaient partie des « employés ». En politique plus qu’ailleurs, le changement, ce n’est pas pour maintenant.
Paul Veronique, Uranie Tosic, Islam Abdelouali, Fanny Ménéghin, Weihua Jiang et Camille Gillet