Présents à Metz pour une rencontre avec les étudiants du Master 1 journalisme et médias numériques, les intervenants du programme national Papageno de prévention du suicide sont revenus sur l’histoire et la construction laborieuse d’une politique préventive en France.
J’ai parfois eu des pensées suicidaires et j’en suis peu fier. On croit parfois que c’est la seule manière de les faire taire”. Ces simples mots, prononcés par Stromae lors du journal télévisé de 20h de TF1 le 9 janvier dernier, étaient immenses pour ceux qui n’arrivent pas à les trouver. En primetime et en chanson, l’artiste belge s’est confié avec émotion et justesse sur sa santé mentale. Immédiatement, les paroles de son nouveau titre L’enfer ont pris une autre dimension, devenant ainsi un message fort pour la prévention du suicide et provoquant une explosion des appels au 31 14, la plateforme nationale d’écoute et de prévention du suicide. Toutefois, en France, le chemin a été long avant qu’une telle libération de la parole sur le suicide existe, tant ce dernier est un acte débattu depuis des décennies.
Dépénalisation et fait sociologique
Si le néologisme “se donner la mort” apparaît au XVIIIe siècle, le point de départ de la prévention contre le suicide est la dépénalisation de l’acte inscrit dans le code pénal par Napoléon en 1810. Avant cela, le suicide existait bel et bien dans la société mais était à la fois invisibilisé par une science rigide et diabolisé par l’idéologie chrétienne. Les personnes qui se suicidaient étaient notamment sanctionnées par le déshéritage de leur descendance.
Malgré la dépénalisation, le débat reste vif et sera relancé un siècle plus tard, au début des années 1900, par les travaux du sociologue Emile Durkheim. Comme l’a expliqué le psychiatre Christophe Debien lors de la conférence du programme Papageno à Metz, le 21 février dernier : “il a fallu se débarrasser du tabou religieux et de l’aspect intime afin d’en faire un fait sociologique”. Il s’agit de la première étape vers la prévention du suicide : comprendre l’origine de l’acte au lieu de culpabiliser.
À la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, les mentalités ont évolué (diminution des interdits, affaiblissement de la religion chrétienne, début de l’État-providence) et le débat autour du suicide avec. Des initiatives concrètes pour la prévention commencent à apparaître dont “l’exemple pionnier du Chad Varah”, selon Christophe Debien. Avec ses samaritains, ce révérend britannique appelait et aidait des personnes dans le besoin, créant en 1953 le premier centre d’assistance téléphonique pour le suicide. “Presque dix ans plus tard, cette initiative traverse la Manche et le centre d’écoute SOS Amitié est créé », explique le psychiatre lillois. Fondée en 1961, SOS Amitié est reconnue d’utilité publique en 1967 et cette reconnaissance va accélérer celle de la lutte contre le suicide, en parallèle du premier rapport de l’OMS sur l’urgence de la prévention deux ans plus tard.
Deux chocs médiatiques, deux avancées
Malgré l’avancée de la prévention du suicide dans le débat public, la campagne marque un coup d’arrêt les décennies suivantes. La faute “à la permanence de la pesanteur médicale « curative » qui persiste dans les questions de santé”, selon Arnaud Campéon, chargé de recherche au Laboratoire d’analyse des politiques sociales et sanitaires et auteur de “De l’histoire de la prévention du suicide en France” (2003). Puis, une nouvelle dynamique pour la reconnaissance se crée en réaction à la publication d’un livre polémique : “Suicide, mode d’emploi : histoire, technique, actualité” (1982). Écrit par Claude Guillon et Yves Le Bonniec, l’ouvrage subversif donne des méthodes afin de mourir sans violence ni souffrance. Si l’objectif du livre et sa banalisation du suicide sont contestables, il aura le mérite de faire réagir l’opinion publique et entraîne le vote d’une loi interdisant la provocation au suicide.
“Après le livre “Suicide : mode d’emploi”, le deuxième événement marquant de l’histoire de la prévention en France est le suicide de Pierre Bérégovoy”, raconte le professionnel Christophe Debien. Ancien Premier ministre sous François Mitterrand, la mort de Pierre Bérégovoy provoque l’émoi et médiatise largement un rapport du Conseil Economique et Social sur le suicide comme un enjeu de santé publique (1992). Après ce décès et ce rapport, le suicide fait désormais partie intégrante de l’espace public. À l’aube des années 2000, la prévention du suicide s’est structurée et s’active réellement. Elle s’organise localement avec des dispositifs de conférences et des programmes d’accompagnement au niveau régional et aussi sur le plan national avec une stratégie établie de 2000 à 2005.
L’effet Papageno
Depuis, la prévention s’est aiguisée, au fil du temps et des études : “on est mieux formés pour en parler et pour connaître les facteurs tels que la situation sociale ou géographique, l’âge ou le genre”, explique Christophe Debien. Pour autant, le suicide reste un sujet de société toujours débattu et la parole de ceux qui vivent des épisodes suicidaires reste timide, écrasée par des jugements moraux sur cet acte personnel. La preuve étant le déclic provoqué par l’intervention de Stromae. Les personnes vivant des épisodes suicidaires ayant besoin de s’identifier et se sentir compris pour parvenir à s’exprimer.
On parle alors de l’effet Papageno, ce protagoniste de l’opéra “La flûte enchantée” de Mozart, qui, après avoir perdu son amoureuse, s’apprête à se pendre mais est arrêté par trois hommes lui montrant une autre voie pour résoudre son problème et retrouver sa bien-aimée. Concrètement, ce mécanisme se base sur la communication d’informations préventives et d’outils pour éviter la contagion des conduites suicidaires. Un nom que porte le programme national créé en 2014 et qui était présent à l’Université de Metz afin d’avertir les futurs journalistes sur les conséquences du traitement médiatique du suicide.
Maxime Lecou, Elias Muhlstein, Morgan Kervestin, Théo Lilin