Le projet CIGEO fait polémique depuis près de 20 ans. Nous avons échangé avec François Drapier, membre fondateur du réseau Sortons du nucléaire Moselle, pour aborder les différents points de contestation. Afin de comprendre davantage le projet et les enjeux qu’il soulève, retour sur l’historique de la situation.
C’est dans le département de la Meuse, sur le site du village de Bure, que l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a décidé d’enfouir à 500m sous terre plusieurs tonnes de déchets nucléaires français. Avec son caractère géologique stable et sa couche d’argile épaisse, homogène et peu perméable, la petite commune d’une centaine d’habitants s’est présentée comme le lieu idéal pour ce projet. Les recherches et le début des travaux ont ainsi débuté en 2001, avec la création d’un laboratoire scientifique sur le site de Bure.
Le casse-tête des déchets nucléaires
Contrôlés par une législation ferme, ces résidus nucléaires ne peuvent être jetés dans la nature sans de lourdes conséquences. La loi l’interdit donc aux entreprises. En France, chaque habitant produit en moyenne près de 2kg de déchets nucléaires par an. Les entreprises représentent à elles seules presque 59% de ce chiffre.
Avec le démantèlement des centrales françaises arrivées en fin de vie, ces déchets nucléaires sont de plus en plus nombreux. Auparavant abandonnés dans des caissons au fin de l’océan, ces derniers sont à présent stockés en surface dans des usines de retraitement. Malheureusement, cette solution n’est ni pérenne ni stable. Trouver une vraie solution face à cet enjeu écologique capital est donc devenu nécessaire pour la France. L’idée de mettre en place une « poubelle nationale de déchets » est envisagée depuis les années 90. Mais c’est seulement au début des années 2000, que le lancement du projet CIGEO à Bure est finalement entrepris.
Scandales et manipulations scientifiques
L’absence de potentiel géothermique fut l’un des critères principaux de sûreté lors du choix du site de Bure. En 2008, l’ANDRA a réalisé des recherches dans le sous-sol du site avant de débuter les travaux. Dans un compte-rendu officiel, ce potentiel géothermique est déclaré « faible » et sans menace. Mais Antoine Godinot, docteur en géologie, décide à son tour de réaliser des tests sur le sol de Bure. Ces derniers vont alors venir contredire les précédentes déclarations de l’ANDRA. “Avec des études plus poussées, il a été découvert par la suite que les appareils de mesure utilisés par l’ANDRA étaient bloqués et faussés. Ils ne permettaient pas d’afficher des résultats fiables et bien-sûr ça a été fait volontairement”, nous explique François Drapier, le militant anti-nucléaire que nous avons rencontré.
En 2012, Le Réseau « Sortons du nucléaire » et cinq autres associations assignent l’ANDRA en responsabilité pour faute. L’affaire est alors portée devant la justice. Néanmoins, peu de temps après, l’organisme public sera finalement jugé non coupable. Le scandale éclatera à nouveau en 2013. En effet, une nouvelle étude réalisée par le cabinet suisse GEOWATT, démontrera l’existence d’une source de géothermie importante et exploitable dans le sous-sol du site. Mais cela ne sera pas suffisant pour que la responsabilité de l’ANDRA soit engagée. Ce dossier de manipulations scientifiques et géothermiques sera finalement classé sans suite. Avec dépit F. Drapier nous déclare “Malgré les nombreux appels, l’affaire n’a toujours pas été portée une nouvelle fois devant le tribunal. Les opposants au projet de poubelle nucléaire ont cherché toutes les pistes pour légitimer l’arrêt du projet, en vain. ”
Des débats citoyens boycottés
Le premier débat public sur le projet CIGEO s’organise en 2005, quatre ans après le début des travaux , dans la petite salle des fêtes de Bure. L’événement a mobilisé beaucoup de monde, venu des quatre coins de la France. Parmi ces personnes : des politiques, des acteurs de la société civile, des ingénieurs, et des manifestants à la fois pro et anti-nucléaire. Avec une pointe d’amertume, F.Drapier se souvient bien de ce moment. “Parmi les participants du débat, très peu habitaient vraiment la commune. Cela soulève donc la question de la légitimité sur leur présence à ce débat”.
En conclusion à ce premier débat, une tendance se dégage alors : une grande majorité est défavorable au projet d’enfouissement. Mais contre toute attente et malgré ces résultats négatifs, le projet CIGEO se poursuit. Après avoir vu leur parole étouffée, les opposants au projet ont décidé de faire entendre leur mécontentement en organisant des actions de boycott actif, notamment lors du débat suivant, en 2013. “Il y avait une vraie volonté de pourrir l’événement. Ça applaudissait et sifflait sans arrêt. Impossible pour les intervenants de prendre la parole” se remémore le militant anti-nucléaire François Drapier, présent aux différentes manifestations.
Depuis le début du projet, ce sont près de 6 débats publics et 14 rencontres qui ont été organisés. Mais ces derniers n’ont pas vraiment mobilisé les foules. Les raisons sont nombreuses : organisation en catimini, boycott de la part des manifestants, et des débats jugés peu accessibles ou accaparés par la classe politique.
François Drapier en est certain, “les débats publics n’ont fait qu’entériner des choix politiques déjà arrêtés en amont“.
“La collusion entre les différents acteurs”
Le nucléaire constitue un enjeu économique de taille. Comme la communauté de communes de Cattenom en Moselle, par le passé, les départements de Meuse et de Haute-Marne font l’objet d’investissements financiers considérables. Investissements dont les liens avec le projet CIGEO ne sont pas toujours évidents. Signé le 4 octobre 2019, le projet de développement du territoire prévoit entre autres la création d’infrastructures routières et ferroviaires.
Si le caractère démocratique et transparent de l’implantation de ce site est contesté, les acteurs en charge de ce projet font tout leur possible pour le faire accepter des populations locales. Garanties, promesses et investissements financiers, chaque levier est utilisé pour enraciner dans un apparent consensus ce projet unique au monde.
Mais l’ancrage du site dans l’économie de ce territoire ressort principalement des actions du “Groupement d’Intérêts Public Haute-Marne”. Cet organisme “est un fonds d’aide à l’investissement dédié au développement économique et à l’aménagement du territoire en Haute-Marne. “
Depuis sa création, un milliard d’euros a été insufflé dans les initiatives locales et l’entretien des espaces publics. La salle des fêtes de Bure serait selon François “un bijou sans commune mesure avec la taille du village.” La composition de cet organisme fait également couler de l’encre. Il regroupe en effet 123 membres: des politiques (représentants de l’Etat, de la région, des 113 communes alentours…) mais aussi des acteurs clés du programme (EDF et ANDRA). Pour lui, cela trahit la “collusion entre les différents acteurs du projet”.
« Un achat des consciences” dénoncé par les opposants.
Une manière déguisée de museler les potentiels censeurs. Selon François Drapier, ces affaires financières servent aussi à détourner les regards d’un autre enjeu majeur: l’environnement.
Conséquences environnementales et avenir, des prévisions incertaines
L’impact environnemental de ce projet cristallise l’essentiel des inquiétudes. Sa superficie, 17 hectares, fait de lui le plus important de sa catégorie dans le monde. Cette taille inédite amplifie les craintes de certains.
Les 85 000 mètres cubes de galeries doivent accueillir 180 000 colis de haute et moyenne radioactivité à vie longue. Dans son avis publié début 2018, l’Agence de Sûreté Nucléaire nuance “la maturité technique du projet”. L’ASN alerte sur plusieurs points notamment “l’architecture et le dimensionnement des installations pour résister aux aléas naturels, sa surveillance et la gestion des situations post-accidentelles.”
Une étude met également en évidence d’autres dangers majeurs. D’un côté, les risques liés au transport et l’acheminement des déchets nucléaires vers Bure. De l’autre, les risques d’explosion ou de contamination du bassin hydrique. Ces derniers auraient des conséquences irréversibles sur l’environnement. La réversibilité étant pourtant un pré-requis imposé par la loi.