La Caisse Nationale des Barreaux Français (CNBF) est l’organe gestionnaire du système de retraite autonome des avocats. La réforme des refaites prévoit de le dissoudre pour intégrer les avocats au « futur régime universel ». Pour Viviane Schmitzberger, la présidente de cette caisse de retraite, c’est incompréhensible. Nous lui avons posé 10 questions pour comprendre ce régime particulier de retraite et l’état d’esprit des avocats français, en grève et en colère en ce moment.
1 – Qu’est-ce que la Caisse Nationale des Barreaux Français (CNBF)?
La Caisse Nationale des Barreaux français est la caisse de retraite des avocats de tous les barreaux de France. C’est une caisse gérée par et pour des avocats de manière complètement autonome. Nous n’avons aucune subvention, aucune aide, ni de l’état ni de personne. La caisse gère 4 régimes : le régime de base, le complémentaire, le régime d’invalidité – décès et le régime d’aide sociale. Elle est fondée sur des principes démocratiques. Ce sont l’ensemble des avocats qui élisent des délégués pour 6 ans par cour d’appel. Ils constituent l’assemblée générale des délégués de la CNBF. Ils élisent leur conseil d’administration qui élit le bureau et le président de la CNBF.
2- La réforme des retraites changerait les régimes de la CNBF et des avocats?
Nous perdrions tout de notre autonomie. Les avocats sont très attachés à la possibilité de gérer eux-mêmes leur régime de retraite. Nous connaissons les besoins de notre profession, nous savons nous y adapter. Il faut savoir que nous restons un organisme de sécurité sociale. Nous sommes sous la tutelle de l’État. On ne fait pas n’importe quoi, on répond à des règles prescrites par le code de la sécurité sociale.
Nous avons toujours eu une gestion vertueuse qui a permis de mettre en place un régime de base particulièrement solidaire, puisque c’est un régime unique par répartition, par annuité et forfaitaire. Cela signifie qu’il permet, au terme d’une carrière complète, pour tout avocat, quel qu’ait été ses revenus, quel qu’ait été ses cotisations de percevoir une retraite de base forfaitaire de 1430€ par mois.
Nous allons perdre le rendement de notre régime complémentaire, l’autonomie de l’ensemble des régimes et notre exceptionnelle solidarité du régime de base. Il existe pour permettre aux avocats d’assurer leur rôle dans une démocratie: défendre les plus démunis (ce qui ne rapporte pas beaucoup d’honoraires aux avocats). Tous les avocats ont le droit à la même retraite de base grâce à notre régime de base qu’on risque de perdre.
Le régime universel nous annonce un minimum de 1000€. On perdrait donc 430€, soit presque un tiers de notre retraite. A côté de ça, nous avons un régime complémentaire dont le rendement est exceptionnel puisqu’il est actuellement de 9.5%. En 2029, il sera encore à 7.5%. Aujourd’hui, on nous annonce que le régime universel devrait avoir un rendement de 5.5%, ce qui est par ailleurs déjà contesté… [Avec cette réforme] on perdrait aussi nos régimes d’invalidité décès et d’aide sociale puisqu’ils ne fonctionnent que parce qu’ils sont rattachés à notre régime de retraite.
3- Que répondez-vous aux accusations de manque de solidarité des avocats et leur régime?
Qu’ils ne connaissent ni notre régime ni notre mentalité. La mentalité des avocats est fondée sur la solidarité. Nous sommes solidaires entre nous. Les plus hauts revenus aident à constituer la retraite de base des plus bas. C’est grâce à l’aspect forfaitaire des cotisations du régime de base et de ces grosses contributions des hauts revenus que nous pouvons assurer une retraite de base plus que décente à ceux qui n’auront pas eu ces mêmes revenus parce qu’ils auront consacré leur vie à défendre les plus démunis. Ce qui permet aux plus démunis d’avoir accès à la justice dans des conditions sereines et dignes de ce nom.
La deuxième solidarité, c’est entre les hommes et les femmes. Il y a une grosse différence dans toutes les professions, la notre n’échappe pas à cette règle avec des différences de presque 50% parfois. Au moment de la retraite, on est tous au même niveau pour le régime de base.
Troisième solidarité, avec les autres professions. Chaque année nous versons au titre de la compensation démographique une contribution significative, de 102 millions d’euros pour les caisses déficitaires. Non seulement on est autonomes, mais en plus on aide les autres caisses. Chaque avocat verse près de 1 400€ annuellement pour cette compensation.
4 – Avez-vous pu prendre part aux concertations lors de la préparation de cette réforme des retraites?
Non. Il y a deux ans en arrière, quand M. Delevoye a commencé la « concertation », il a désigné ses interlocuteurs. Il a choisi de ne rencontrer que les syndicats et les représentants des professions. Il a d’entrée de jeu évincé de la discussion avec les présidents des caisses de retraite qui pourtant sont des élus de la profession. En discutant des « grands principes » et non des modalités pratiques, on écarte les techniciens [comme la CNBF] et on rencontre uniquement les représentants politiques, pour schématiser. Normalement dans une concertation, chacun désigne son porte-parole. Là, le gouvernement a imposé le choix des interlocuteurs à toutes les professions.
Nous [présidents des caisses de retraites] avons essayé d’être dans cette consultation mais on nous a écartés. Ce processus s’est déroulé dans un climat frustrant et pas très équilibré. Nos représentants sont parfaitement légitimes à représenter les intérêts de la profession, mais ils ne sont pas pour autant totalement au fait des problèmes de retraites, puisque c’est pour cela que nous existons !
Aujourd’hui ce sont surtout les grands syndicats qui discutent avec le gouvernement. Les syndicats des professions libérales sont entendus aujourd’hui par leur ministre et M.Pietraszewski le successeur de JP Delevoye profession par profession, mais toujours pas les représentants des caisses. Nous avons beaucoup de mal à nous faire entendre.
5 – Et avec le ministère de la Justice?
Depuis le 23 octobre dernier, nous attendions des réponses à plusieurs questions techniques que nous avions posé à Mme. Belloubet. Pas de réponse depuis. Sauf, il y a peu, nous venons d’avoir une lettre avec un rendez-vous le 13 janvier dans la matinée. La délégation sera composée de la présidente de la confédération nationale du barreau, du bâtonnier de Paris et de moi-même.
Nous sommes prêt à rencontrer Mme.Belloubet, nous allons écouter ce qu’elle a à nous dire, mais nos représentants n’ont pas mandat à faire des propositions, hormis des propositions à l’intérieur de notre régime autonome. On peut discuter, mais nous voulons maintenir l’autonomie de notre régime. Je ne peux pas dévoiler les réflexions de la profession. On réfléchit bien entendu à toutes les possibilités, parce qu’il ne serait pas responsable de ne pas le faire.
6- Donc vous envisagez des concessions éventuelles face à cette réforme des retraites ?
Pas de concessions. L’attitude du gouvernement a été particulièrement arrogante et méprisante. On nous a dit « Vous rentrerez dans le régime universel. Point à la ligne, c’est décidé. Vos réserves ? Elles entreront dans le régime universel puisque vous les avez constituées grâce à loi qui les a rendues obligatoires. Ce que le gouvernement a permis, il peut le reprendre. »
Nous avons en face de nous un mur qui veut s’imposer. L’attitude du gouvernement a été de dire « de toute façon la réforme passera en force. » S’il y a bien une expression inacceptable dans une démocratie, c’est bien la notion de passer en force.
7 – Pensez-vous que le gouvernement va recourir aux ordonnances et au 49.3 pour simplifier le passage de la réforme des retraites?
Il y a des chances qu’une loi cadre passe et que le reste des dispositions passent par voie d’ordonnance. J’ai le sentiment que la position du gouvernement n’est plus celle de discuter de l’opportunité d’un régime universel ni de ses modalités ni même des questions budgétaires. Sa seule préoccupation, c’est de savoir quelle attitude adopter pour perdre le moins de voix électorales possibles. Je trouve que c’est dramatique de sacrifier la construction sociétale depuis des décennies de notre régime des retraites et de les sacrifier à une volonté purement électorale. Je suis profondément choquée, indépendamment des critiques que je peux avoir sur le régime universel tel qu’il est proposé.
8- Le comportement du gouvernement est-il symptomatique du fonctionnement institutionnel et du « fait majoritaire » ?
La discipline des députés LREM est inquiétante sur leur liberté de penser. Quand vous discutez librement avec eux, ils ne sont pas convaincus et ils ne sont pas capable de défendre véritablement ce projet en dehors des éléments de langage distribués. Ils font ce que le gouvernement leur dit de faire, c’est quasiment le gouvernement qui légifère.
Je suis vraiment inquiète de cette manière de faire, presqu’autiste. Je ne sais pas jusqu’où on va aller. Si la loi passe en force, je crains les réactions à posteriori. Mais je ne baisse pas les bras et la profession est plus remontée que jamais.
9– Vous étiez dans la rue jeudi 09 janvier, que pensez-vous de la mobilisation messine ?
Elle est très importante. Tout le monde a suivi le mot d’ordre du conseil national du barreau de se mettre en grève générale sévère, puisque la réforme touche toutes les juridictions, plus la mise en place d’actions ponctuelles et précises par chaque barreau et la participation aux manifestations organisées dans les différentes villes. Pour ma part, en plus de 40 ans de barreau, je n’ai jamais vu pareille mobilisation.
Les avocats sont extrêmement mobilisés sur l’ensemble du territoire. Le barreau de France est mobilisé comme il ne l’a jamais été. […] Toutes les générations sont présentes, des élèves et des plus jeunes jusqu’aux avocats honoraires. Tout le monde est fébrilement atteint par ce projet.
10 – C’est quoi la suite ?
Le 13 janvier nos représentants seront reçu par Mme. Belloubet. Nous verrons ce qui ressort de cet entretien. De notre côté, nous travaillons à des propositions à l’intérieur de notre régime actuel. J’ai un mandat : celui de défendre les intérêts de mes confrères et leurs droits à la retraite dans les meilleures conditions possibles quelles que soient les conditions qui me sont imposées, je serais fidèle à mon mandat.