Le mercredi 6 décembre dernier, le Club de la Presse à Metz a ouvert ses portes au journaliste Olivier Dubois, ainsi qu’aux étudiants du Master Journalisme et Médias Numériques, pour un échange très enrichissant. Journaliste reconnu, correspondant dans un pays en conflit puis otage pendant deux ans, Olivier Dubois se livre sur sa profession et partage son expérience.
L’aventure journalistique d’Olivier Dubois commence en 2011 au Canada, où il se rend pour effectuer un mentorat. C’est plus tard, en 2015, qu’il se rend en Afrique, dans le but de suivre sa compagne. Il s’installe à Bamako, au Mali. Il travaille alors dans un hebdomadaire local durant deux ans. « Je ne connaissais rien du terrain, je voulais savoir comment ça se passe dans une rédaction malienne pour mieux comprendre les mécanismes et travailler au mieux par la suite« , explique-t-il. En 2020, il rejoint la rédaction du journal Libération en tant que journaliste indépendant et couvre la situation au Mali.
Bien qu’il ait reçu une liste de contacts à son arrivée dans le pays, Olivier Dubois ne s’en est pas contenté. Le correspondant s’est plongé dans les annuaires de tous les maires des villes et villages du pays, afin d’avoir le plus de contacts possibles. « Au Mali, tout est très tribal ou familial », confie-t-il. Un contact mène à un autre et, très rapidement, il se retrouve à avoir des informateurs partout, afin d’être au courant de la situation à travers tout le pays.
Au Mali, Olivier Dubois était constamment sur le terrain. « Étant directement sur le terrain et surtout en habitant là-bas toute l’année, je vois les choses telles qu’elles sont, j’ai un regard proche de la réalité et non biaisé par les stéréotypes de quelqu’un qui traiterait le même sujet mais depuis la France« , affirme le journaliste. Une caractéristique essentielle pour travailler au mieux sur un conflit, selon lui. « Je me suis effacé une fois sur la place. En tant que journaliste étranger, il faut avoir une autre approche et s’adapter pour se mettre au diapason du pays« , ajoute-t-il.
Le plus délicat, évidemment, reste sa sécurité personnelle. Le Mali est une zone sensible, se rendre sur place est parfois « compliqué et dangereux« . Mais l’avantage, pour Olivier Dubois, c’est sa couleur de peau. « Étant moi-même noir, je passais plus facilement pour un Malien et me fondais dans la masse, je prenais donc moins de risques. Je ne me suis d’ailleurs jamais rendu sur place avec un.e escorte« , déclare-t-il.
« Se recentrer sur qui on est » pour tenir
Le conflit au Mali débute en janvier 2012 et lorsqu’Olivier Dubois arrive à Bamako, le territoire est donc déjà très sensible. C’est le 8 avril 2021, alors que le journaliste se rend sur le lieu d’une interview, qu’il est fait otage.
Un rendez-vous est programmé avec Abdallah Ag Albakaye, commandant de l’organisation militaire et terroriste de Soutien à l’Islam et aux Musulman (GSIM), lié à la branche d’Al-Qaïda. Son fixeur et traducteur, Kader (le nom a été modifié), a dû se désister au dernier moment. Olivier Dubois s’y rend donc seul. Cette interview, qui devait initialement durer 45 minutes, durera finalement deux ans puisqu’il sera retenu contre son gré.
« J’ai vécu mes quinze premier jours de détention comme une injustice« , déclare celui-ci, pensant d’abord qu’il s’agissait d’une erreur. Une injustice qui a servi de sorte de « bouclier à la peur, l’appréhension et la colère« , explique le journaliste. « Lorsque j’ai compris que j’étais pris en otage, il était vital que je garde mon sang-froid et que je gère mon stress, pour ne pas dégringoler mentalement. C’est super important pour tenir« , continue-t-il.
Lors de sa captivité, Olivier Dubois a énormément discuté du Coran avec les djihadistes. Il a étudié l’œuvre afin de pouvoir la – et les – comprendre au mieux. « Ce sont des êtres humains qui ont choisi un camp très particulier, qui ont choisi de se radicaliser. Selon moi, il n’y aucune raison d’amener l’Islam à travers la violence. Ils connaissent le Coran sur le bout des doigts mais ne le comprennent pas« , estime-t-il. Les avoir côtoyés durant deux ans lui a permis de mieux comprendre les choses mais sa vision des choses reste la même : « Ma vision ne change pas car je n’aime pas qui ils sont et ce qu’ils font, mais oui, ce sont des humains. Pendant ma captivité, j’ai eu l’impression d’être dans un autre monde« , se souvient-il.
En immersion constante, le journaliste a dû batailler contre le temps et lui-même pour ne pas sombrer. Pour s’en sortir, selon lui, il faut « se recentrer sur ce qu’on est, ce qu’on aime, ce qu’on pense, sur qui on est« . Ce qui l’a amené à douter par moments car, pendant deux ans, la réalité de ces ravisseurs est devenue la sienne, la seule qui existait. « Il y a un risque de basculement. On m’a proposé de nombreuses fois de me libérer si je me convertissais. Mais, si je choisis une religion, c’est en homme libre, pas avec des chaînes autour du pied« , soutient Olivier Dubois.
Le 20 mars 2023 sonne le glas de la captivité d’Olivier Dubois, qui arrivera en France le 21 mars.
Se réadapter au monde
Olivier Dubois apprend qu’il va être relâché deux semaines avant sa libération. Deux semaines d’appréhension pour le journaliste, qui se demande comment se réacclimater au monde extérieur et à sa réalité après deux ans de captivité. « Il m’a fallu quelques mois pour me réadapter« , avoue-t-il. Ce qui l’a aidé à se réaccoutumer, selon lui, c’est d’avoir « un repaire, être bien entouré et être épaulé« . Partager son expérience avec des gens ayant vécu la même chose que lui, qui le comprennent et avec qui il a pu échanger sur le sujet l’a également beaucoup aidé.
Lors de son retour en France, le journaliste se retrouve sous le feu des projecteurs. « J’ai essayé de contrôler cette médiatisation, je ne voulais pas trop être dans les médias … La lumière, c’est pas trop mon truc« , livre-t-il. Cependant, découvrir le soutien de ses confrères à son égard durant ces deux années a énormément ému le journaliste. « Je ne m’y attendais pas. Je pensais être seul, que peut-être les gens pensaient que j’étais mort. Alors, forcément, de voir cet esprit confraternel et de soutien m’a énormément touché« , appuie-t-il.
Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour Olivier Dubois de savoir en quoi cette expérience l’a changé, bien qu’une telle expérience ait un impact. « Je ne sais pas encore à quel point ça a changé ma façon de voir les choses, car c’est encore en cours pour moi. Ce qui est sûr, c’est qu’avec le recul, on remarque des choses que l’on n’a pas vu sur le moment« , assure le journaliste. En tout cas, pour lui, pas question d’abandonner le journalisme. « Je ne regrette pas car, quand je vais sur le terrain, je ne me pose pas de question. Je vais au travail, c’est tout. Selon moi c’est la passion qui anime tout ça, qui vous êtes. Le journalisme, c’est un métier passion et c’est tout ce qui compte« , ajoute Olivier Dubois, en guise de conclusion.