Vendredi 12 mars, l’inter association de la Grange-aux-Bois a reçu une lettre indiquant qu’ils devaient quitter leurs locaux avant le 1er septembre 2021. La mairie a décidé de mettre un terme à leur convention, en place depuis 1998. Cette annonce a suscité de vives réactions du côté des bénévoles, salariés des associations, riverains et élus d’opposition. Inquiet pour l’avenir du quartier, ils se mobilisent pour pousser la municipalité à réviser sa position.
Au sud-est du centre de la ville de Metz, dans le quartier de la Grange-aux-Bois, l’inter-association de La Grange occupe le bâtiment coloré de la rue de Mercy. Depuis 1998, plusieurs associations mettent en place leurs activités au sein des locaux, aujourd’hui toutes suspendues par la crise sanitaire.
Les 18 salariés et de nombreux bénévoles font vivre la structure depuis plus de 20 ans. “Notre intervention est à destination de l’ensemble des habitants de la Grange-aux-Bois.” précise Océane Lhersonneau, étudiante en licence professionnelle, apprentie au centre depuis septembre 2020, réfutant les remarques de la mairie concernant le manque d’activités ciblant tous les publics.
La structure a été agréée “Centre social” par la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) de Moselle en 2012 mais cet agrément a été perdu en 2017. Depuis elle essaye de le reconquérir, et un projet a été redéposé au début du mois de mars. Le directeur de la structure, Maurice Kuentz est en attente d’une réponse de la CAF le 16 avril prochain.
La douche froide
“Le vendredi 12 mars trois policiers nous ont amené une lettre pour nous dire qu’au 1er septembre on doit quitter les lieux. “ se remémore Nadège Weber, animatrice vie sociale et directrice périscolaire. C’est la douche froide pour l’inter-association. La mairie leur pose un ultimatum: s’ils n’obtiennent pas l’agrément “Centre social” délivré par la CAF, l’inter-association devra libérer les locaux. Une décision prise soudainement sans préavis d’après les salariés: “On avait aucune information au préalable.”
Une situation qui n’a pas seulement surpris les salariés, mais aussi les riverains : « Ça a été la surprise pour tout le monde” explique Nadège Weber après avoir lu les réactions des habitants du quartier sur les réseaux sociaux.
Maurice Kuentz, directeur de l’association évoque sa réaction à la réception de la lettre
Les arguments de la mairie
Contactée à plusieurs reprises lors de notre enquête, la municipalité n’a pas donné suite à nos demandes d’entretiens. Néanmoins le maire et son adjoint à la Jeunesse se sont exprimés à plusieurs reprises sur le sujet.
Le principal argument de la majorité repose sur le non agrément CAF “centre social” de l’inter-association. Selon François Grosdidier “ Je ne comprends même pas que la municipalité précédente a pu accepter que dans certains quartiers il n’y ait pas de centre social agréé par la CAF”. Prenant l’exemple du centre de Borny, le maire de Metz a déclaré que “cette association a affiché beaucoup de bonnes volonté pour répondre aux demandes de la CAF”, avant de conclure “Si les autres (sous-entendu La Grange-aux-Bois) avaient fait la même chose, nous n’aurions pas à prévoir une alternative pour avoir un centre social”.
Le 14 mars, soit deux jours après la réception de la lettre, l’adjoint au maire Bouabdellah Tahri publiait un communiqué pour expliquer sa décision concernant la fin de la convention. Dans ce dernier il reproche à l’inter-association de “ne pas remplir sa mission, à savoir tisser du lien social en fédérant les habitants et les autres associations” ainsi que de “ne pas avoir un projet complet : de la petite enfance, à l’enfance, aux jeunes adultes jusqu’aux seniors en passant bien évidemment par le secteur famille”
L’élu tient à rassurer les habitants en affirmant “qu’il n’y aura pas d’arrêt des activités (périscolaires incluses) à l’Espace de la Grange”, sans préciser si un travail sur le remplacement de ces services a déjà été entamé.
L’agrément CAF au cœur des discussions
La CAF et la mairie sont deux entités indépendantes, mais la municipalité a décidé d’utiliser ce point comme principal argument pour soutenir sa décision. Pourtant, durant trois années sans cet agrément, la structure a continué de fonctionner au sein du quartier, sans qu’il n’y ait eu de différence notable excepté sur l’aspect financier. “L’agrément CAF ne constitue que la validation de notre projet par une institution publique mais ne le change pas. Par contre, il amène des financements complémentaires et c’est important” explique Maurice Kuentz.
Sébastien Marx, conseiller municipal et membre de la liste “Unis pour Metz explique : “La Grange-aux-Bois ne fait pas partie des quartiers prioritaires de la ville, le fait que l’agrément se soit retiré est peut-être en partie dû à ça”. Selon lui, son obtention les années précédentes relèverait d’un cas exceptionnel. Il ajoute: “il ne faut pas que ça devienne une fin en soi«
Malgré le fait que l’agrément n’impacte que très peu le fonctionnement du centre, l’inter-association a monté un projet dans l’espoir de l’obtenir à nouveau. “Les CAF, historiquement, ce sont les plus gros partenaires des centres sociaux.” Le directeur de la structure met en avant leur bonne volonté pour récupérer cet agrément: “Quand on a élaboré ce projet, on a constitué un comité partenarial dans lequel siègent la CAF et la municipalité de Metz qui avait pour mission d’évaluer notre projet en cours d’élaboration pour permettre d’ajuster le tir si besoin. On en a tenu compte et on a intégré toutes les remarques. […] On voulait à la fois respecter la volonté de la CAF mais aussi la volonté de la ville. ”
Une décision dissimulée
Autre point de désaccord entre l’opposition, les associations et la majorité : la concertation et l’accompagnement de la mairie pour aider l’inter-association. Selon Bouabdellah Tahri, la décision mettant fin à la convention aurait été prise “après plus de 8 mois d’enquête sur le territoire de la Grange aux Bois”. Une enquête qui ne semble pas avoir laissé une marque indélébile du côté de La Grange-aux-Bois : “Il est venu à trois ou quatre conseils d’administration. Mais je n’appelle pas ça des échanges. Un véritable échange sur le projet “Jeunesse” avec une réflexion et des demandes, ça, il n’y a pas eu” déplore Maurice Kuentz.
Même constat du côté de l’opposition au conseil municipal. Sébastien Marx, surpris par la décision du conseil du 11 mars, dénonce “une décision unilatérale sans qu’aucune mention de ce sujet ne soit apparue lors du conseil municipal”
Sébastien Marx, élu d’opposition dénonce le fait que le sujet n’a jamais été évoqué en conseil municipal.
L’élu accuse la majorité d’avoir voulu cacher cette décision. Le vote de budget des subventions pour toutes les associations messines s’est déroulé la veille de l’envoi de la lettre mettant fin à la convention avec La Grange-aux-Bois.
Le projet jeunesse mis en cause
Bouabdellah Tahri, adjoint chargé de la politique de la ville et de la jeunesse, déclarait à nos confrères du Républicain Lorrain que “La Mairie ne peut pas se permettre d’avoir un centre social en décrochage dans un quartier”. La municipalité regrette que l’inter-association ne s’occupe pas de toutes les tranches d’âges, ce qui serait une mission indispensable selon eux pour un centre social. “Ce n’est pas vrai” rétorque le directeur de la Grange-aux-Bois. “Quand on a rendu ce projet social, il fallait qu’il respecte les critères de la circulaire CNAF de 2012, et c’est ce qu’on a fait”.
Un comité partenarial dans lequel siège la CAF et la municipalité a été créé. Lors d’une réunion en septembre, ce comité avait adressé quelques remarques à l’inter-association. Ces dernières ont été prises en compte selon Maurice Kuentz : “On a intégré les remarques pour le comité de décembre, notamment celle sur les différents publics. Nous avons apporté un complément du projet. Il faut aussi savoir que la politique jeunesse ne fait partie des priorités de la CAF, ça ne figure pas dans les critères piliers. Mais on a quand même élaboré un projet jeunesse car on voulait respecter la volonté de la ville”.
Le personnel de la Grange-aux-Bois dénonce également un manque de temps. “La mairie aurait voulu que le projet se monte plus vite, mais un projet jeunesse se réfléchit, on ne fonce pas tête baissée sans réfléchir”.
Pour Sébastien Marx, l’argument du projet jeunesse démontre un manque de connaissance important de la majorité municipale sur le sujet. “L’argumentaire de la mairie parle des 15-25 ans. Mais en animation cette catégorie n’existe pas. On ne mélange pas les mineurs et les majeurs. Il font des demandes qui ne sont pas en rapport avec ce qui est possible de faire.”
“On ne peut pas toucher tout le monde”
L’élu de l’opposition soutient les choix de l’inter-association. “Chaque association financée par la mairie dispose d’un projet qui lui est propre et qui émane des bénévoles et des Conseils d’Administration. Elles font des choix stratégiques. c’est toujours un travail d’éducation populaire. Cette association a fait des projets, des choix stratégiques pour aller vers des populations, mais on ne peut pas toucher tout le monde.”
Actuellement, la seule institution qui finance les projets liés aux adolescents est la région et éventuellement le département. Ils ne financent que des actions, pas les coûts liés au fonctionnement ou aux ressources humaines. “Si la mairie veut qu’ils travaillent avec des ados, il faut qu’elle aligne le budget qui va dans ce sens, pour l’embauche d’une personne.”
Étonnamment, aucune mention de la crise sanitaire n’apparaît dans l’argumentaire de la mairie concernant sa décision. Un manque qui surprend Maurice Kuentz : “On a fait moins d’actions. On a fermé complètement l’année dernière, de mars à mai. Cela limite beaucoup nos possibilités et ce n’est pas pris en compte par les autorités.”
“Leur avenir est en jeu”
La mairie a fait plusieurs promesses concernant le futur de la structure au mois de septembre: le maintien des emplois pour les 18 salariés et le maintien du périscolaire. Des promesses qui restent pour le moment floues sur la manière dont elles vont être tenues. De nombreux questionnements subsistent sur l’avenir du centre, et donc sur la vie du quartier.
Les inquiétudes des habitants se sont notamment exprimées sur les réseaux sociaux avec la création du #Touchepasàmoncentre. Un hashtag permettant de regrouper les messages d’incompréhension et de mécontentement des riverains. Les réseaux sociaux ont également permis l’organisation d’actions comme une manifestation spontanée le samedi 20 mars devant le centre, réunissant une quarantaine de personnes où chacun a pu prendre la parole librement. D’autres initiatives similaires sont en cours de préparation par l’inter-association et seront partagées sur leur page Facebook. Les messages de soutien se sont multipliés et une pétition en ligne demandant le retrait de la décision de la mairie a été créée. Une initiative qui n’étonne pas Nadège Weber: “Beaucoup nous soutiennent.. Ils ne comprennent pas, ils sont perdus. Beaucoup s’inquiètent pour leurs enfants, parce que c’est leur avenir qui est en jeu. C’est un chamboulement autant envers nous qu’envers les habitants”
« Ils ne se rendent pas compte de l’impact négatif que ça va avoir. Ça va éloigner les gens du centre social. » s’inquiète Sébastien Marx. Selon lui, les répercussions de cette expulsion seront lourdes pour le quartier. En particulier, car les nouvelles personnes qui prendront en charge la structure ne connaîtront pas le quartier. Le conseiller municipal doute que des bénévoles reviennent en septembre avec une nouvelle équipe: “Tous ces gens-là ne reviendront pas, parce qu’on est en train de les foutre dehors. […] On va casser du lien social qui existe pour des raisons qu’on a du mal à comprendre.”
La rentrée de septembre 2021 va arriver rapidement et la mairie n’a pas encore évoqué précisément les projets futurs pour la structure. “A toute forme d’organisation on sait bien qu’il y a toujours un temps de désorganisation. Je ne sais pas si on vérifiera ça. Après je ne peux pas préjuger de ce qui va suivre” déclare Maurice Kuentz qui ne sait pas ce qui va se passer par la suite.
Les habitants du quartier dans le flou
Dans cette affaire, les premiers concernés restent les 8000 habitants de la Grange-aux-Bois, et plus particulièrement les parents d’élèves. A la sortie de l’école Jean de la Fontaine, située à 500 mètres, tous ne sont pas au courant de la situation. “Je n’ai pas eu beaucoup d’infos sur le sujet. On était au courant de rien, on a juste reçu un courrier de Mr le maire récemment” nous avoue un parent d’élève. La plus grande inquiétude reste la question du périscolaire. “Ils (la Marie) ont dit qu’ils allaient le garder, je l’espère parce que sinon ça va devenir compliqué” poursuit-t-il.
Du fait de la situation sanitaire, l’expulsion des associations de la Grange-aux-Bois en septembre semble lointaine. La majorité des activités extra-scolaires ne sont effectivement plus actives depuis plus d’un an. Les riverains restent tout de même vigilants. “Si on voit que rien ne bouge et que l’expulsion est effective, à ce moment on se mobilisera oui.”
Des situations semblables
L’expulsion par la mairie de l’inter-association de la Grange-aux-Bois n’est pas un cas isolé. Dans la région, plusieurs situations similaires se sont déroulées ces dernières années.
Alexandre Cassaro, maire de Forbach a évincé l’association Castel Coucou de l’ancienne synagogue en mettant fin à leur convention d’occupation.
Depuis 2014 à Hayange, le maire de la ville tente d’expulser sans succès le Secours Populaire de ses locaux.
Dans la ville de Sens, la mairie a décidé d’exclure, les adhérents et les bénévoles sénonais de la Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) sans consultation préalable, en allant jusqu’à changer les serrures de la structure.
En attendant la décision de la CAF le 16 avril prochain, l’inter-association compte se mobiliser pour rester dans ses locaux. Présents depuis plus de 20 ans, leur départ pourrait laisser un grand vide dans le quartier.
Benjamin Cornuez et Emma Georges