Une semaine après la rentrée, il manquait au moins un enseignant dans 45% des établissements lorrains, selon une enquête réalisée par le syndicat du second degré SNES-FSU. À la date du 12 septembre, 55 offres d’emploi concernant des professeurs au collège et lycée étaient publiées. Manque de considération, perte d’attractivité, rémunération trop faible… les enseignants tirent la sonnette d’alarme.
« La situation me pèse dans mon quotidien. À chaque rentrée, les enseignants et le personnel éducatif ne se sentent pas bien. Les classes sont surchargées, les bâtiments trop petits et s’il n’y avait que ça », lance Agnès Bragard, enseignante d’histoire-géographie à Metz (57) et déléguée SNES-FSU en Moselle.
Il n’est pas difficile de trouver des témoignages comme celui-ci. Certains professeurs n’hésitent pas à se tourner vers d’autres horizons tandis que d’autres persistent dans ce métier tant bien que mal. Depuis quelques années, les établissements secondaires (collèges et lycées) font face à une pénurie d’enseignants à la rentrée. En 2017, dans l’académie de Nancy-Metz, neuf postes sur 192 étaient vacants, notamment les enseignements en allemand. Aujourd’hui, cela se compte par dizaines.
« Au moins un enseignant manquant dans 45% des établissements lorrains »
Physique-chimie, mathématiques, allemand… Les établissements mosellans peinent à trouver des enseignants dans ces spécialités. Selon une enquête réalisée par le syndicat du second degré SNES-FSU, il manquerait « au moins un enseignant dans 45% des établissements lorrains interrogés. »
« Lorsque tu as un niveau master dans un domaine comme les maths, tu peux trouver mieux que professeur. Les opportunités sont nombreuses, et un grand nombre de diplômés se tournent vers d’autres voies, mieux payées et avec de meilleures conditions de travail », évoque Guillaume, professeur d’histoire-géo dans un collège de Meurthe-et-Moselle (54). « Mécaniquement, on observe au sein de la formation, une perte d’intérêt vis-à-vis de ces enseignements. On a de moins en moins de candidats à Metz », constate Nicolas Hubé, responsable du master MEEF 2nd degré à l’INSEP Lorraine qui forme au métier d’enseignant pour les collèges et les lycées.
Olivier Pallez, proviseur du lycée Louis-Vincent à Metz s’évertue à trouver un professeur d’allemand. « On a vraiment de grosses difficultés à trouver le bon profil. Le problème aujourd’hui, c’est que les personnes sont de plus en plus exigeantes. »
À cela s’ajoute la caractéristique frontalière du département. « Je connais un certain nombre de collègues qui ont choisi d’enseigner au Luxembourg ou en Allemagne. Les salaires sont largement plus élevés. Les conditions sont nettement meilleures et la valorisation plus importante », détaille la déléguée SNES-FSU Moselle.
Un manque de considération croissant…
Même constat dans l’enseignement du premier degré (maternelle et primaire) : « On a parfois l’impression d’être un peu laissés à l’abandon par nos hiérarchies, le rectorat mais aussi l’Assemblée Nationale. Lorsqu’on cherche à faire remonter une problématique ou une demande, il ne faut pas être pressé. Cela nous donne clairement l’impression de ne pas être pris aux sérieux ». Ces mots de Nathalie, maîtresse des écoles, soulignent un mal profond – touchant une grande partie des enseignants – qui est le manque de considération pour la profession. Agnès Bragard partage d’ailleurs cette idée. Selon elle, « un certain nombre de ministres ont déconsidéré la fonction de professeurs, mis à mal le métier d’enseignant ». Un manque de soutien politique, qui les contraint donc de se retrouver parfois « face à un mur », lorsqu’une demande quelconque est posée.
Cet avilissement entraîne l’opinion publique à assimiler des clichés à la profession. « Vous avez des petites journées, les vacances, les mercredis… On entend à longueur de journée ces mêmes phrases. Les personnes prononçant ces inepties ne se rendent pas compte du travail de préparation et d’organisation monumental qu’il y a derrière et de toutes les attentes institutionnelles que l’on doit respecter » explique Nathalie. Nicolas Hubé quant à lui estime que le débat public se détériore. Pire encore, que l’étiquette « profession de feignant, de bon à rien » est désormais ancrée.
Ajoutez à cela un salaire jugé « trop faible vis-à-vis des responsabilités », et une pression s’accentuant d’année en année sur les professionnels, et vous obtiendrez un burn-out, devenant de plus en plus régulier dans le secteur. Mise bout à bout, cette pluralité de contrariété exerce un rôle majeur sur le manque d’attractivité de la profession.
… qui fait perdre de l’attractivité au métier
Les élus se heurtent à une méconnaissance du travail sur le terrain. Les visites officielles cachent la réalité pour Agnès Bragard : « Les représentants de l’État annoncent toujours leur arrivée alors forcément les établissements sont parfaitement nettoyés avant leur venue. Quand ils sont là, tout va toujours très bien. Alors venez dans les établissements voir ce qu’il se passe sans vous annoncer, venez de façon impromptue. Vous verrez les difficultés de travail du personnel. »
Les conditions de travail se dégradent. Poteaux au milieu des salles, fils électriques qui pendent, bâtiments exposés plein sud sans aération ou alarmes incendies défaillantes, c’est dans ce contexte qu’enseignent les professeurs et étudient les élèves. « Ce n’est pas serein matériellement », souligne-t-elle. L’épuisement est collectif.
Pour pallier le manque de place dans les bâtiments scolaires, des solutions sont étudiées dans certains lycées. « Les cours sont réalisés en décalé dans un lycée messin. En une après-midi, vous pouvez entendre jusqu’à neuf sonneries toutes les demi-heures », poursuit l’enseignante en histoire-géo.
Les diplômes obtenus aussi ont perdu de leur valeur, le salaire est faible pour le travail réalisé. Alors les professeurs doivent-ils travailler plus ? Non, ils veulent simplement gagner plus. Le ministère de l’Éducation nationale a annoncé une revalorisation des salaires d’au moins 125 € par mois pour les enseignants de 1er et 2nd degré ainsi que le personnel d’éducation et d’orientation, à la rentrée 2023. Pour eux, ça n’est pas suffisant et la bataille continue.
Contacté par nos soins, le rectorat de Nancy-Metz a refusé de répondre à nos questions, souhaitant uniquement traiter ce sujet « de manière positive ».
Par Kévin Ferry, Marie Vin & Steeven Pellan