FAUVE. Ça sonnait faux. Comme une mauvaise blague. Ça puait l’effet de mode. Un truc qui rebute. Puis ce nom, je trouvais ça un peu kitsch. Mais j’entendais les murmures. Les échos sur leurs chants sortis de nulle part. Des extra-terrestres sur la scène française. Des Daft Punk sans masques. FAUVE ne se laisse pas exposer. Ils n’aiment pas ça. On dirait qu’ils ont peur du succès. Pourtant, le collectif gagne en popularité. Et en groupies. C’est un peu pour ça qu’on les fuit aux premiers abords. Mauvais souvenirs qui germent de l’allemand dégueulasse des Tokio Hotel qui ont fait fureur, sans mauvais jeux de mots. Ou ces fans qui se filment en train de chialer parce que Zayn a quitté les One Direction, OD pour les intimes. J’avais peur de tomber sur un groupe comme ça. Qui attire les ados avec des textes guimauves sur fond de musique synthétique. Mais j’ai quand même tenté le coup quand une amie a posté une vidéo sur mon mur Facebook. J’ai cliqué, j’ai craqué.
FAUVE c’est du flow, du mal-être dégueulé sur quelques notes. De la ferveur, de l’urgence et de l’ardeur passionnelles et passionnées balancées à travers un slam sur un fond instrumental new wave. Ils appellent ça le spoken word. Ils sont aimés ou détestés. Rarement entre les deux. Parfois même comparés à Diabologum. On passe les moqueries, les critiques, les persiflages. Charles Gauthier, dans un article pour L’Obs, disait du premier album du groupe Vieux Frères qu’il était « […] répétitif, sans rythme et quasi vide. Vide de sens, de qualités et d’espoir pour le renouveau de la musique en France, on finit par ressentir un certain malaise ». Les goûts sont dans la nature paraît-il. Quand l’occasion s’est présentée d’aller les voir, j’ai foncé. Résultat, je ne suis pas d’accord avec lui. Justement, tout ça vibrait de sens.
Les hautes lumières des projecteurs
Une tournée de Nuits Fauves. Un concept inconnu. Direction Lyon pour y assister à la Halle Tony Garnier, place docteurs Charles et Christophe Mérieux. Rendez-vous à 19h30. On y est deux heures à l’avance sous la pluie. Quand ils ouvrent les portes, c’est l’euphorie. Euphémisme. Il y a des gamines qui crient et qui courent pour avoir une place tout devant dans la fosse. Ironie puisque les fauves seront sur scène. Il y a le symbole du collectif en rouge projeté au sol. On décide de se mettre sur des places avec une vue parfaite. Au début, il n’y a pas grand monde au sol. C’est la première partie. Grand Blanc ouvre le bal. Ils sont déchaînés, ils donnent tout. Impressionnés par la masse qui les acclament. Un peu moins dans les gradins. L’ambiance est merdique parmi les flemmards assis. On décide de quitter nos sièges, de rejoindre les lions dans la fosse. C’est au tour des Gordon. L’enthousiasme est présent mais on sent l’impatience. Moi-même je me sens comme avant un rencard. J’ai hâte mais j’ai peur d’être déçue. Le logo de FAUVE ≠ est inerte sur le grand écran blanc. On attend. Et c’est là qu’ils arrivent.
De ceux qui… aiment
Les cris fusent. Des « je t’aime » beuglés par des lycéennes énamourées. La musique résonne tout juste qu’on est happé par l’ambiance. Des tubes cathodiques parsèment la scène et montre tantôt le sigle du collectif, tantôt des images cryptées et parasitées. L’acoustique de la salle est parfaite malgré les critiques que j’ai pu entendre avant le concert. Le son est un peu trop fort mais rien de bien grave, on s’y fait vite. Et puis on est hypnotisé par le chanteur et les musiciens qui bougent, dansent, gesticulent jusqu’à l’épuisement. Toujours au rythme du son synthétique et électro des instruments presque vivants entre les mains de leurs musiciens. Le chanteur s’essouffle à déblatérer le malaise de la vie, de la société, de la surconsommation.
C’est de la psychologie sur scène. Des Baudelaire ratés qui semblent avoir soumis leur plume au service du pathos. Ils ont l’air de vouloir tout déglinguer. Le public est contaminé par leur énergie. Tout le monde danse et chante d’une seule voix en reprenant les chansons en chœur. C’est beau à voir et à entendre, on se laisse facilement prendre au jeu. « On a jamais eu autant de monde face à nous », souffle le chanteur anonyme. Il y a de l’émotion dans la voix. Dans les yeux, les fantômes des petites et moyennes salles qui ont su les accueillir à leurs débuts.
Les morceaux s’enchaînent comme les épisodes d’un feuilleton. Quand l’atmosphère arrive à son paroxysme, FAUVE balance 4 000 îles. La frénésie gagne la foule comme un seul être. Il y a des mains qui se lèvent et des briquets qui brûlent les doigts. Et le collectif s’amuse à nous faire répéter une partie de la chanson en découpant la salle en trois groupes. Chacun ayant pour but de chanter le fameux « emmène-moi » en grave, en medium ou en aigu. Pas de bol, je suis dans les derniers. Mais c’est entraînant et on y met du cœur quand c’est à nous d’élever nos voix. « Ça défonce » sourit le chanteur.
La même ferveur gagne le public quand les musiciens font sonner les premières notes de Blizzard. Lyon tout entier a dû entendre les 5 000 personnes présentes gueuler ensemble : « Tu nous entends le blizzard, tu nous entends ? Si tu nous entends, va t’faire enculer ». L’espace d’un instant, on fait partie du collectif. Et puis FAUVE retourne dans sa cage pour mieux revenir avec un dernier titre tiré de son deuxième album Vieux Frères – Partie 2 : Les Hautes Lumières. Définitivement, je suis de ceux qui aiment.
Qu’on se noie dans les nuits fauves
La fin arrive brutalement. C’est presque décevant. La masse encore bouleversée s’éparpille en dehors de la salle où des activités sont mises à disposition. Je crois voir un babyfoot. J’attrape un marqueur pour écrire sur un grand tableau avec le symbole du collectif peint dessus. Tout le monde y laisse son mot d’amour. On écrit simplement « merci ». A côté, il y a une sorte d’arbre de pensées. Un truc où sont suspendues des petites languettes de papier avec des mots écrits dessus. On en lit quelques unes. Puis on se promène dans cette nuit fauve. Pas le temps de voir le collectif venir à notre rencontre. Il se fait tard et on est trop nombreux. Mais je sais en quittant la Halle Tony Garnier, que je les reverrais. Quoi que…