28 ans après son apparition, la propagation du virus du sida continue. Particulièrement touchée par l’épidémie, la population homosexuelle masculine constitue le groupe où l’on observe le plus de nouvelles contaminations. Une incidence et une prévalence au VIH fortes font que le risque de contamination y est très élevé. Les comportements préventifs s’érodent, augmentant les « chances » d’infection. Derrière ce bien sombre tableau se cache tout de même une lueur d’espoir. Les trithérapies pourraient changer la donne, dans le bon sens.
L’hécatombe continue
Alors que le nombre de nouveaux cas d’infections au sida diminue globalement en France, il demeure élevé au sein de la communauté gay. Avec 3320 nouvelles contaminations en 2008, les Hommes ayant des rapports Sexuels avec des Hommes (HSH) sont les plus touchés par le virus du sida. Chaque jour en France, neuf homosexuels découvrent donc leur séropositivité. Le taux d’incidence, nombre de personnes contaminées sur un an, rapporté à l’effectif total de cette population, est de 1%, soit 200 fois plus que chez les hétérosexuels. Emmanuel Château, membre de la commission prévention d’Act Up Paris, évoque les raisons du dynamisme de l’épidémie en milieu gay.
Anne Armand, pharmacienne vacataire, référent VIH à l’hôpital Bon Secours à Metz, s’inquiète d’une nouvelle recrudescence de l’épidémie car le chiffre des nouvelles infections homosexuelles avoisine ceux du début des années 2000.
Avec un taux de prévalence (nombre de séropositifs dans une population déterminée) aux alentours de 10% et une incidence élevée, l’épidémie est loin de s’essouffler en milieu gay. Des études arrivent même à un constat alarmant, comme l’explique Jean Luc Ferry, coordinateur de la délégation de la Moselle d’Aides.
L’enquête Prévagay, réalisée par l’INVS auprès des HSH fréquentant les lieux de convivialité gay parisiens, a estimé que le taux d’incidence dans cette population était de 7,5%. Même s’il s’agit d’une population spécifique, ces chiffres montrent que l’épidémie pourrait se répandre encore plus vite et toucher bien plus qu’un gay sur deux…
La capote n’a plus la cote
Fer de lance de la lutte contre le sida depuis près de trente ans, le préservatif semble, pour certains gays, avoir fait son temps. Le «sortez couvert » devenu culte s’essouffle. Des études conjointes de l’INVS et de l’ANRS confirment que « les rencontres multiples et brèves, souvent anonymes, constitutives de l’identité homosexuelle, s’accompagnent d’un abandon de plus en plus fréquent du préservatif ». En plus du désamour des gays envers le préservatif, le virus lui-même commence à lasser. « Aujourd’hui, le sida n’apparaît plus comme une maladie mortelle, mais plus comme une maladie chronique » explique Christian, bénévole chez Aides. Michel Celse, rapporteur du Conseil National du Sida, évoque les raisons de cette chute des comportements préventifs classiques.
En effet, les choses ont changé dans la sexualité gay. Le safe sex séduit de moins en moins. « Aujourd’hui, il est presque de bon ton de baiser sans capote » déplore un responsable d’Aides. Pour justifier ce rejet progressif du latex, tout est bon. Florilège des explications du milieu, sur des images de la campagne de prévention de l’INPES de 2008.
Franck, patron du Men’s club, un sauna gay, estime que l’efficacité des traitements antirétroviraux pousse certains hommes d’âge mur à ne plus se protéger.
Laurent Schultze, responsable de l’association Emergences dresse le même constat chez les jeunes. « Pour eux, c’est le no capote qui prime. Ils se disent que le VIH n’existe plus parce qu’il y a la trithérapie ». Pourtant, comme l’explique Christian, la trithérapie demeure un traitement lourd, et à vie.
Prendre des risques à moindre risque
L’arrivée des trithérapies en 1996 a révolutionné le traitement de la maladie en empêchant l’évolution du VIH chez les personnes infectées. Le premier bénéfice de ces antirétroviraux a été d’augmenter considérablement l’espérance de vie des séropositifs. En 2008, une annonce est venue bouleverser toute la stratégie de prévention dans la lutte contre le sida. Le docteur Hirschel affirmait en effet que « toute personne séropositive ne souffrant d’aucune MST et suivant un traitement antirétroviral avec une virémie entièrement supprimée ne transmet pas le virus par voie sexuelle ». De nombreuses polémiques ont vu le jour après cette déclaration, médecins et associations craignant que des dérives apparaissent. Depuis, le soufflé est un peu retombé et le Conseil National du Sida a rendu en avril dernier un avis favorable à l’utilisation du traitement comme outil de prévention. Bernard Christian, hématologue à Metz, explique l’influence de la trithérapie sur le risque de transmission du virus.
Mathieu Follea, chargé de prévention grand Est du Syndicat National des Entreprises Gaies (SNEG) atteste lui aussi de l’intérêt préventif du traitement.
Michel Celse du CNS estime qu’« il y a tout un champ qui s’ouvre avec la question de l’usage du traitement en prévention. Ça réduit de manière extrêmement forte le risque de transmettre le virus. Ce n’est pas une protection absolue, il existe un risque résiduel mais c’est un outil intéressant ». Le traitement constitue un outil de prévention utile, notamment en direction des gays qui sont déjà en situation d’échappement vis-à-vis du préservatif. « Il est indéniable que le traitement a sa place dans la prévention », souligne le rapporteur du CNS.
Une éradication possible
Même si le préservatif (bien utilisé) reste la norme indiscutable en matière de protection, il faut maintenant « marier traitement et prévention », comme le martele le docteur Myron Cohen, professeur de médecine et microbiologie. Au vu des contaminations en milieu gay, toutes les méthodes permettant de réduire les risques de contaminations doivent être intégrées dans les actions de prévention. Bien utilisé, le traitement antirétroviral est l’outil le plus puissant après le préservatif en matière de réduction du risque de transmission et du coup en matière de contrôle de l’épidémie. Jean Luc Ferry insiste sur l’effet positif d’une généralisation du traitement au plus grand nombre de personnes séropositives.
« Si la prévalence diminue, on rentre dans un cercle vertueux qui fait qu’au fur et à mesure qu’elle diminue, le risque d’exposition diminue, le nombre de nouvelles contaminations aussi et ainsi de suite…», appuie Michel Celse. L’Organisation Mondiale de la Santé arrive également à cette conclusion. En favorisant le dépistage annuel de toute la population sexuellement active et en mettant sous traitement immédiatement les personnes infectées, on pourrait conduire à l’éradication de l’épidémie pour 2050.