Sublime, passionnant, intrigant… En ce temps maussade, le chef d’oeuvre mélancolique et torturé « The Leftovers » se déguste à l’envi.
Comme il est fascinant d’observer à quel point le simple chiffre 2 peut avoir des répercussions aussi gargantuesques. Si 2 % peuvent paraître minimes à l’échelle d’un pays, les proportions explosent à l’échelle du monde. Ces 2 %, ce sont ceux qui ont disparu un 14 octobre comme les autres. Cela équivaut à plusieurs centaines de millions de personnes ayant disparu d’un coup d’un seul, sans aucun début de sens.
Une adaptation ambitieuse
Ce traumatisme mondial éminemment brillant et intrigant est le point de départ du roman « The leftovers« , écrit par Tom Perotta et publié en 2011. Avant même qu’il ne soit disponible en librairie, la chaîne américaine HBO acquiert les droits. Dix mois plus tard, Damon Lindelof, créateur de Lost, est choisi pour développer le projet avec l’auteur. La série sera définitivement confirmée en septembre 2013.
The Leftovers est par ailleurs la première série HBO co-produite avec le studio Warner Bros Television. Justin Théroux, habitué aux apparitions récurrentes à la télévision, est retenu pour incarner le protagoniste principal : le shérif Kevin Garvey. Un choix de casting judicieux puisque l’acteur impressionne dans son ascension d’homme brisé à figure prophétique tout droit sortie de la Bible.
Psychanalyse d’un monde meurtri
Le scénario prend place à Mappleton aux Etats-unis, trois ans après la grande disparition. Au cœur de ce trauma globalisé, nous suivons le shérif qui essaie tant bien que mal de recomposer sa famille brisée.
Sa femme Laurie a décidé d’abandonner sa famille suite à la disparition de son bébé pendant qu’elle était enceinte. Meurtrie au plus profond d’elle-même, elle va rejoindre le mouvement croissant des « Guilty Remnants » – littéralement les survivants coupables. Les membres de cette secte, tous vêtus de blanc, ont fait vœu de silence. Ils ne cessent de marteler au reste de la population que la fin du monde est arrivée.
La série interroge chacun d’entre nous : Comment vit-on, comment accepte-ton le deuil ? Ce sont ces questionnements universels qui font la puissance d’une série éminemment humaniste. Un exercice difficile qui, s’il tend par moments vers un misérabilisme masochiste, ne verse jamais dans la caricature.
Références divines
Dans un monde autant dénué de sens, la métaphysique et la religion occupent logiquement une place prégnante au cœur de la série. Un parti pris clairement affiché dès le générique de la saison 1 qui utilise les codes de « La création d’Adam » de Michel Ange. Le mystique est au cœur de l’intrigue. Kevin et son père semblent entendre des voix dans leurs têtes. Si ce dernier affirme qu’une force supérieure est en jeu, son fils prêche plutôt pour la folie.
Cette ambiguïté, cette alliance d’un réel austère à des croyances prophétiques, donne une ampleur monumentale aux événements de la série. Une ampleur telle qu’elle peut s’avérer lourde par moments. On a paradoxalement l’impression d’assister à quelque chose de grandiose, sans que rien ne se passe vraiment à l’écran. Le spectateur est constamment dans l’attente, au risque de lasser.
Le travail absolument fantastique de la bande-son par son éminent compositeur Max Richter quant à lui, met tout le monde d’accord. Un mélange de passion, de mélancolie et d’une immense tristesse transpire à chaque note.
Les « leftovers » qui arriveront à terme de ce voyage aux confins du sublime en auront pour leur argent. Non, Damon Lindelof ne s’est pas de nouveau attiré les foudres de son public pour son final. Il s’octroie une sortie particulièrement sobre et élégante. Ouf !
Romain Ethuin