Le 16 octobre dernier, l’assemblée générale de l’ONU adoptait une résolution pour que la Palestine puisse diriger le G77, un groupe de pays en voie de développement. Mais quelles leçons doit-on tirer de ce choix fort ? Thomas Vescovi, chercheur indépendant à Metz et spécialiste des questions israélo-palestiniennes nous apporte un éclairage sur la situation.
Quel regard portez-vous sur la future présidence de la Palestine au G77 ?
Thomas Vescavo : C’est une victoire symbolique pour la Palestine car elle n’a qu’un statut d’observateur à l’ONU. Ce statut ne les autorise pas à prendre la présidence de groupe tel que le G77. Sauf que la situation palestinienne fait que les Palestiniens se battent pour être reconnus au niveau des instances et contraindre Israël à les prendre en considération dans les discussions. Le fait qu’il y ait eu autant de pays et l’Egypte en premier lieu, qui a déposé une autorisation pour permettre exceptionnellement à la Palestine d’être à la présidence du G77. C’est la volonté palestinienne qui triomphe. Elle souhaite être reconnue au niveau international et diplomatique, là où elle n’est pas reconnue à l’échelle locale.
Derrière ce choix, est-ce qu’il n’y a pas la volonté pour les Etats membres de l’ONU de montrer que la Palestine peut être un acteur international en dehors du conflit qui l’oppose à Israël ?
Thomas Vescavo : Les États membres de l’ONU veulent surtout marginaliser Israël. Ce pays mène une bataille presque “frontale” contre les Palestiniens et se retrouve minoritaire sur le plan diplomatique. Au cours de ce scrutin, 146 pays ont voté favorablement et de nombreuses ambassades sur place en Palestine, ont apporté leur soutien à ce choix. Chaque année, les diplomates européens établissent un rapport sur la situation locale et ce rapport est souvent accablant.
Jonathan Cohen, l’ambassadeur adjoint américain à l’ONU a déclaré devant l’assemblée générale qu’il était « inapproprié qu’un simple membre observateur représente les Etats de l’ONU. Avec Israël, les Etats-Unis sont également les grands perdants de cette décision ?
Thomas Vescavo : Nous avons un contexte international très particulier. Vous avez en Israël, un gouvernement qui est sans doute le plus à droite de l’histoire du pays. On a, aux USA, Donald Trump qui s’affirme comme un soutien farouche d’Israël alors qu’il n’a pas l’air de porter grand intérêt à la question palestinienne. Ils ne se rendent pas compte que cette attitude très brutale renforce l’alliance des petits pays entre eux pour former des coalitions.
Depuis la seconde intifada, vous avez en Palestine la volonté de promouvoir des négociations « bilatérales. » C’est-à-dire mettre les représentants palestiniens et israéliens autour d’une table pour négocier avec les Etats-Unis comme arbitre. Ce jeu n’a aucun sens, puisque la Palestine et Israël ne sont pas sur un pied d’égalité. L’enjeu à l’ONU est de partir sur une dynamique « multilatérale » pour rappeler à Israël, ainsi qu’aux Etats-Unis, qu’il y a une majorité d’États dans le monde qui soutiennent le droit des Palestiniens d’avoir un État.
Sur le court terme, que va apporter cette présidence à la Palestine ?
Thomas Vescavo : En premier lieu, cette présidence ne leur accorde pas de pouvoir décisionnaire. La Palestine va présider une assemblée qui existe déjà. Les Palestiniens cherchent des soutiens diplomatiques forts, c’est-à-dire auprès d’États qui vont les soutenir dans différentes instances, notamment au niveau de la cour pénale internationale. Des instances où cers Etats ne vont pas faillir lorsqu’il s’agira de voter contre l’État d’Israël. Sur le terrain, l’urgence prioritaire des Palestiniens actuellement est de parvenir à une levée de blocus dans la Bande de Gaza pour pouvoir décloisonner la zone. Le groupe G77 ne fera rien, mais la Palestine pourra renforcer ses liens avec les partenaires internationaux. Ce soutien est vital.
Qu’est-ce que souhaite avant tout la Palestine ?
Thomas Vescavo : La Palestine ne veut plus être membre observateur, mais un membre à part entière de l’ONU. Il cherche depuis longtemps à obtenir un statut d’État. Il pourrait être obtenu à l’avenir, mais il y a un enjeu central. Actuellement, la situation est préoccupante mais n’entraîne aucune réaction. L’ONU a des difficultés pour réagir, notamment par l’envoi des casques bleus, car la Palestine n’est pas un État. Si la Palestine obtient ce statut, des casques bleus interviendront beaucoup plus facilement. À ce moment-là, la donne changera car ça ne sera plus Israël face à un peuple sans territoire, mais Israël face à un État.
Quels sont les dangers actuels pour la Palestine ?
Thomas Vescavo : La colonisation sur le territoire palestinien aujourd’hui. Elle est dans une dynamique très inquiétante. Les Palestiniens savent que face à cet enjeu, ils n’ont aucun pouvoir de contre-attaque car personne ne veut sanctionner Israël. Au niveau diplomatique, c’est aussi compliqué car à l’ONU, Israël a le soutien des USA. Dans ce contexte, les Palestiniens n’ont rien à perdre. Ce qui explique que des opérations “kamikazes” d’un nouveau genre apparaissent. Ils n’ont pas de travail, ils sont au cœur d’un blocus inhumain. On leur dit : “arrêtez ça.” Mais non, c’est un moyen pour eux d’essayer de se faire entendre !
Thomas Bernier