Si l’amour bien souvent, anime ou élève celui qui en bénéficie, sa perte peut-être intolérable. S’oublier soi-même est alors une des solutions extrêmes pour oublier sa peine. C’est en tout cas celle qu’a trouvé Aouimeur, SDF, que l’amour a mené sur le pavé des rues de Metz.
[NDLR] Un courriel reçu de la mère de Aouimeur nous a informé que malheureusement ce dernier était décédé en novembre 2014. L’ensemble de la rédaction de Webullition apporte ses condoléances à sa famille. Le collectif Les Morts de la rue a recensé 453 décès en 2013. Notre oeil blasé a malheureusement fini par rendre souvent trop invisibles ces personnes. Ne les oublions pas.
Son sac de couchage porté en bandoulière, il est assis sur le sol en tailleur. Un habit de fortune et une posture qui lui confèrent des allures de moine bouddhiste, si on délaisse le côté terne de ses vêtements vieillissants.Ceux-ci contrastent nettement d’avec l’orange éclatant des kesas traditionnels. Je m’assieds entre lui et Arès, un chien noir aux yeux couleurs feu : « Son nom m’est venu comme ça » m’indique Aouimeur, son maître. Aucun rapport avec le dieu grec de la guerre donc.L’animal est à tel point dépourvu d’une quelconque animosité que la référence lui sied mal. Il donne la patte sans qu’on la lui demande, tente de frotter sa gueule contre mon visage et pose sa carcasse sur mes genoux. Ce chien est un tendre, Un comportement qui donne déjà des indications sur son propriétaire, qui semble lui aussi un homme avenant, bien qu’un peu renfermé : « T’as vu comme ils nous ignorent. Ils tirent la gueule.Ils ont pourtant tout. Tiens regarde, lui je suis sûr qu’il a trois télés chez lui et regarde comme il tire la gueule » me dit-il en riant, alpaguant les passants de sa voix grave.
Aouimeur a 32 ans, et sept ans de rue au compteur. Ce qui l’a mené à la rue si jeune ? Une histoire d’amour. Messin d’origine, il travaillait dans la restauration, comme cuistot. Il a rencontré Floriane à Marseille : « Je connaissais des amis là-bas, j’ai pas mal de connaissances dans le sud », précise le jeune homme. C’est elle qui a fait le premier pas vers lui, et puis tout s’est enchaîné très vite : « Elle est venue vivre avec moi. On a pris un appart ensemble à Metz », se souvient Aouimeur. Quatre ans de vie commune, une période qu’il qualifie d’ « heureuse », avant non pas la rupture, mais la « cassure », terme sur lequel il insiste, comme si quelque chose s’était vraiment brisé en lui à ce moment-là. : « Je n’avais plus goût à rien, j’ai tout délaissé du jour au lendemain. Travail, potes de boulot, et comme je ne suis pas très famille… ».
Il se laisse alors sombrer, sans bouée de sauvetage, sans soutien de la part des siens : « Mon père est un immigré algérien. On ne s’est jamais entendu à cause de la religion. Pour moi c’est une escroquerie », souligne-t-il. Un père aujourd’hui décédé, Aouimeur se cache la tête dans ses mains quand je lui demande s’il a assisté à ses funérailles : « Non », me répond-il, sans oser me regarder. En réalité, le jeune sdf n’a pas revu ses parents, ni ses deux sœurs (plus jeunes que lui ndlr) depuis qu’il a quitté le circuit traditionnel : « Aujourd’hui le sentiment de honte a pris le dessus et je préfère ne pas les revoir », affirme-t-il.
« Aucune attache, je peux aller où je veux »
Un diplôme de restauration en poche, le Messin, avec l’aide des associations, pourrait se réinsérer. Mais Aouimeur a le discours typique de nombres de gens de la rue que j’ai pu croiser : « Je ne sais pas si j’ai envie de me réinsérer. Je peux prendre mon sac et partir où je veux, je n’ai aucune attache, et je suis plutôt heureux comme ça » confie-t-il.
Un point de vue qui laisse imaginer l’envoûtant sentiment de liberté, celle d’aller où bon nous semble, sans responsabilité, à laquelle il tient. Pourtant, tous les jours, Aouimeur a sa routine : « Je passe la matinée à mendier pour pouvoir manger. Le midi et le soir, je passe à la boutique (L’association Abbé pierre ndlr) pour me doucher, et je m’isole l’après-midi, loin de la ville et des gens » .Le soir, Aouimeur s’enquiert de trouver un endroit où dormir, « Dans les halls d’immeubles généralement » indique-t-il.
S’il est libre d’aller et de venir, il reste soumis à la responsabilité de sa propre vie, et le carpe diem prend des allures moins séduisantes quand on doit trouver à manger, ou bouger pour ne pas s’engourdir. Aouimeur a d’ailleurs déjà tenté de mettre fin à ses jours : « J’ai essayé de me pendre, mais une amie m’en a empêché ».Le côté sombre d’un homme plein de contradictions. Celui-ci se réfugie dans sa marginalité, refusant de se réinsérer, mais rêve secrètement d’une vie de famille, d’une femme à aimer, d’enfants qui jouent dans le jardin, un rêve des plus simples. Après tout, quand on y réfléchit, c’est l’amour qui l’a mis dans la rue, et c’est peut-être la seule chose qui pourra l’en sortir.