Lundi 12 février, Sébastien Bourdon, journaliste indépendant, a tenu une masterclass avec le Master Journalisme et Médias Numériques. À cette occasion, il est revenu sur une enquête qu’il a réalisé en juillet 2021 : Comment les forces de l’ordre usent des grenades au mépris des règles.
En juillet 2021, Sébastien Bourdon publie une enquête au terme de plusieurs mois de recherches et d’analyses. Son travail porte sur l’utilisation des grenades par les forces de l’ordre, pendant les manifestations. “L’idée m’est venue de deux vidéos : Le Monde qui enquêtait sur un manifestant gilet jaune éborgné par un jet de grenade, et la seconde était le travail de Disclose avec Forensic Architecture sur la mort de Zineb Redouane à Marseille”, explique-t-il aux étudiants du master de journalisme à Metz.
À l’occasion de cette masterclass, Sébastien Bourdon est revenu sur son cheminement de pensée et sa méthodologie dans la réalisation de cette enquête vidéo. Une fois que l’idée a germé chez lui, la question était de savoir comment traiter ce sujet dans l’objectif de démontrer que les problématiques de “violences policières ont une forme de systématicité”
Sébastien Bourdon se pose alors la question la base de données à utiliser. Son choix se porte sur Line Press, un média d’information en ligne qui “couvre quasiment tous les mouvements sociaux et met à disposition ses vidéos longues en accès libre et sans cut”. “J’ai fait le choix de la liste la plus exhaustive possible pour pas que l’on me reproche d’être anti-flic”, explique le journaliste. Au total, c’est plus de 4 années (du 17 mai 2016 au 12 décembre 2020) de manifestations qu’il analysera pour environ 145 heures de rushs. In fine, il répertorie plus de 1200 tirs de lance-grenade à analyser et 311 jets de grenade de désencerclement
Passer les réglementations au peigne fin
“Ce jet de grenades de désencerclement […] est non-réglementaire”, entendons-nous dès les premières secondes de la vidéo publiée sur Mediapart. Pour cela, Sébastien Bourdon a du se pencher sur la réglementation de l’utilisation de ces armes par les forces de l’ordre. Grenades de désencerclement, lance-grenades, chaque arme possédée par les policiers et gendarmes à une utilisation réglementée. “Les tirs de lance-grenades doivent être réalisés à un angle de minimum 45° et les grenades jetées au ras du sol”, explique-t-il après ses recherches. Pour ce qui est des grenades, il choisit de considérer un lancer au-dessus d’un mètre comme non réglementaire afin de laisser une marge d’erreur et qu’il soit difficile de juger ses résultats comme trop sévères. L’enquête démontre que ces règles ne sont pas toujours respectées. “51% des jets de grenades de désencerclement […] opérés par les forces de l’ordre en manifestation sont non réglementaires”, peut-on lire.
Les forces de l’ordre affirment pourtant au journaliste qu’“il n’y a pas de tolérance avec les mauvais gestes, ça c’est une évidence.” Les mauvais gestes en question sont tout de même pris. Certains policiers tiennent les lance-grenades volontairement à l’envers pour effectuer des tirs tendus.
Cette enquête aura duré environ deux mois, du visionnage des images à la réalisation et aux interviews. Après publication des résultats sur le site Médiapart, plusieurs médias se sont appuyés dessus pour d’autres enquêtes. C’est notamment le cas du Monde qui a repris sa base de données, mise à disposition dans l’article, pour une autre enquête : “Enquête sur la formation alarmante de la police française au lance-grenades Cougar”.