Thomas About est chef de quart à l’usine à charbon Emile Huchet de Saint-Avold depuis 2021. Il veille à la sécurité, à la productivité et à l’efficacité des opérations du site. Il se définit comme un commandant de bord et est également délégué syndical pour la Fédération chimie énergie de la CFDT. Il donne son avis sur la transition de l’usine.
Pouvez-vous nous parler du projet de reconversion de la centrale ?
On peut commencer par le but. Il est électoral, c’est politique. Ça s’arrête là. C’étaient des promesses connues par le président de la République depuis 2019 de fermer les dernières centrales à charbon en France. La feuille de route, c’était l’hydrogène. La Moselle-Est, en pleine désindustrialisation, devait s’appuyer sur l’hydrogène comme nouvelle opportunité économique.
Quand est-ce que le projet de transition doit aboutir ?
L’ambition c’était de le faire le plus vite possible. Si on arrivait à acter avec les pouvoirs publics, la possibilité de transformer l’outil industriel du charbon vers le biogaz. Nous, on est en mesure, on est en phase d’études.. Et ensuite, d’un point de vue plus opérationnel, on avait l’ambition dès 2025 de commencer certains travaux en parallèle. En fait, des travaux qui n’impactent pas la production de la centrale. Donc la centrale pouvait rester disponible pour le réseau électrique au charbon jusqu’à l’hiver 2026/2027. Et on crée en fait en parallèle le chantier pour la conversion. Et en 26/27, on plug les deux. Et ensuite, on sort vraiment du charbon et on ne tourne qu’au biogaz. Donc l’ambition, c’était que, en 2027, qu’on puisse tourner au biogaz et qu’on ne consomme plus de charbon. C’était l’ambition. C’est toujours l’ambition de l’industriel.
Et vous, quel est votre ressenti ?
Les revirements politiques nous ont toujours heurtés. Dès 2016, avec Emmanuel Vargon et François de Rugy, on était face à un mur : le carbone, le carbone… Puis ils ont rétro-pédalé en voyant le problème. Le ressenti, c’est que c’est un gâchis.
On ne peut pas miser sur des outils industriels et sur des hommes et des femmes juste pour un coup électoral ou une représentation auprès de la Commission européenne. Il y a des humains derrière ces centrales, même si elles sont au charbon.
On doit sortir du charbon, c’est clair. Mais pas en cassant tout ce qui existe. Aujourd’hui, la France exporte son électricité, non pas parce que les Français font des économies, mais parce qu’ils n’ont plus les moyens de payer leurs factures. On a désindustrialisé comme jamais.
À Saint-Avold, la réindustrialisation du site est plantée. Il n’y a rien. Aucun projet n’est viable. Si on nous empêche de convertir l’unité, il ne restera plus rien : plus de sites, plus d’emplois, plus de 20 millions d’euros de taxes locales. C’est très politique, et c’est un pur gâchis.
Quels ont été les impacts de la réouverture de la centrale, que ce soit sur l’économie, l’environnement ou les habitants ?
Pour les employés, c’était un retour à l’emploi, même si beaucoup sont en contrats précaires. Certains ont choisi de revenir, d’autres étaient déjà partis.
Pour les collectivités, ce sont 20 millions d’euros de retombées fiscales. Pour nos partenaires, c’est aussi une bouffée d’oxygène : ils retrouvent des contrats et peuvent réembaucher, ce qui leur permet de rembourser leurs prêts COVID. Beaucoup d’entreprises ont été en redressement judiciaire, la plateforme était en train de mourir à petit feu.
Les riverains, globalement, le prennent bien. On est dans un bassin industriel où presque chaque famille connaît quelqu’un qui a travaillé ici. Il y a toujours des voix pour dire qu’on aurait pu faire autre chose, mais pas d’opposition frontale.
Côté environnemental, l’impact est non négligeable. Le charbon émet du CO2, mais la centrale n’a tourné que 140 heures en 2023 et environ 700 à 800 heures cette année. On est hyper contrôlés : des labos indépendants viennent vérifier nos installations à tout moment. On limite les oxydes d’azote et de soufre, les particules fines… Mais sur le CO2, on ne peut rien faire. Ce serait hypocrite de dire qu’il n’y a aucun impact.
Avec toutes ces ouvertures et fermetures, est-ce que l’usine ne subit pas un impact économique important ?
Oui.
C’est Macron qui a demandé la fermeture, et c’est lui qui a demandé le redémarrage. Ce n’est pas l’actionnaire qui a choisi, c’est l’État. Ils ont demandé à Gazel de redémarrer, en rappelant tous ceux qui avaient les compétences. Certains collègues, partis pendant le plan social, ne sont jamais revenus. D’autres, comme moi, ont accepté de revenir en précaire avant de resigner un CDI. On a aussi fait appel à des jeunes retraités.
Humainement, c’est très compliqué. Un plan social, c’est dur, et quand on doit ensuite tout relancer, c’est encore plus complexe.
Économiquement, fermer une centrale coûte cher. Avant l’arrêt, on fait juste le minimum en maintenance, comme avec une voiture qu’on sait qu’on va remplacer : on fait pour tenir, pas pour durer. Mais quand on redémarre, toutes les maintenances non faites deviennent des chantiers énormes et très coûteux. Cet argent aurait pu être utilisé ailleurs, mais en France, les décisions concernant l’énergie dépendent des politiques. Et on ne peut pas déployer cet argent comme on le souhaite, parce qu’on n’a pas l’autorisation de le faire. On est pieds et mains liées. L’énergie, c’est ultra-complexe. On a perdu la notion de ce qu’est l’électricité. Appuyer sur un interrupteur, recharger son téléphone, tout ça nous paraît normal. Mais sans électricité, plus rien ne fonctionne. La physique et la technique devraient primer sur la politique. Amener des experts techniques dans l’administration ferait un bien fou.