Chaque mois de novembre, et ce depuis cinq ans, huit moniteurs de l’École de ski français (ESF) s’envolent pour enseigner la glisse en Chine. Pays où cette pratique a de beaux jours devant elle et où le Club Med compte bien y poser ses valises.
Cela ressemblait à un jour ordinaire. Le matin, tôt, il s’est emmitouflé dans sa tenue rouge. Il a pris ses skis. Et s’est rendu auprès de ses clients en bas des pistes. Le train-train habituel. Sauf que Julien, 35 ans, débute ce jour-là sa première journée en tant que moniteur de ski à Yabuli, en Chine. Pour le natif de Morzine (Haute-Savoie), l’Empire du milieu n’a jamais été un rêve, mais plutôt une belle opportunité de découvrir une culture aux antipodes de la sienne. « Quand je disais aux gens que j’allais enseigner en Chine, personne n’y croyait. Ça paraît improbable », raconte le trentenaire.
Situé au nord-est du pays, Yabuli ressemble, à première vue, à n’importe quelle station des Alpes : de la neige, des pistes, des skieurs, des hôtels. Sauf que l’image d’Épinal est vite balayée par Julien : « Il n’y a rien à voir là-bas ! La station est au bout d’une longue route interminable et c’est tout. Il y des gros hôtels pas très jolis et zéro charme. » Tranchant. Les touristes chinois, eux, apprécient. Et pour cause : ils découvrent les joies des vacances à la montagne. Depuis quelques années, le ski est à la mode et attire de plus en plus d’adeptes. On n’en est pas encore là, mais une chose est sûre : la passion du ski en Chine ne risque pas de s’étouffer. Pourquoi ? Les Jeux Olympiques d’hiver vont passer par là, d’ici 2018, en Corée du Sud. Puis à Pékin en 2022. Et entraîner avec eux des millions de fidèles supplémentaires. Le gouvernement chinois espère passer de 12 millions de skieurs actuellement à 200 millions. Un marché en pleine bourre dans un pays où le taux de croissance atteint des chiffres qui font rêver l’Occident.
Mais pour le moment, le ski reste encore pour certains vacanciers une bizarrerie que l’on vient découvrir avec appréhension. En témoigne le nombre de personnes qui séjournent, mais ne skient pas. « Un tiers des personnes viennent pour voir à quoi ça ressemble et comment ça se passe. C’est encore nouveau pour eux, ils découvrent la discipline », raconte Jean-Paul, nouveau chef des moniteurs dans la station. Il décrit les touristes chinois comme « aisés ». « Des hommes d’affaires avec leurs familles. » Le niveau ? « 90% de débutants. » Avant que Julien n’ajoute : « Ils progressent beaucoup et adorent les moniteurs français, plus techniques et professionnels que les locaux. Ils apprécient les conseils et c’est hyper enrichissant, parce qu’ils sont vraiment heureux que tu les aides. »
Partir découvrir un autre monde
La vie au Club Med de cette station quasi-désertique ? « L’ambiance est familiale, à l’image de la marque. Il y a pas mal de Français au sein du staff », dévoile Jean-Paul. Les moniteurs baignent dans un environnement qu’ils connaissent bien : la neige, le ski, l’hôtel. Le dépaysement, c’est la différence de culture entre les deux pays. Les Chinois se « couchent tôt » et ne « prennent pas l’apéro », développe Julien. « Lorsqu’on fait des spectacles, il faut que ce soit hyper simple, puis ils sont assez réservés quand il s’agit de déconner. » Le véritable changement, ils le trouvent quand ils voyagent. Et découvrent par la même occasion la vraie culture chinoise, comme les trains d’époque bondés, « aussi confortables que modernes » et des gens « toujours souriants », s’amuse Julien. Mais tout est relativement loin. Pour donner un ordre d’idée, Pékin se situe à 1500 km, l’équivalent d’un trajet Paris – Rome. Il faut prendre le train ou l’avion pour visiter une autre région. Faute de temps, les Français restent souvent à l’hôtel. « Au Club Med, tu fais beaucoup de relationnel avec les clients, tu manges avec eux matin et soir. T’es assez pris par ça aussi. »
Les journées s’organisent comme elles peuvent. « On ne connaît pas toujours notre planning du lendemain, c’est un peu la surprise chaque jour. Si t’as du boulot, ils te donnent un forfait pour la journée. Tu vas aux caisses, ils vérifient ton identité et c’est bon. » Sauf que tous les jours, la même rengaine. Les vacanciers chinois arrivent le matin, avec ou sans matériel. Aux moniteurs de faire les réglages des skis pour eux. Et là, c’est la débrouille. « Les équipements sont d’époque ! Ils ont des vieux skis des années 90. Du coup, on galère pour les fixer correctement. » Et pour cause : Il n’y a qu’un magasin qui loue le matériel dans la station, et qui appartient au gérant du domaine skiable. Même si l’hôtel dispose d’un arsenal de skis presque flambant neuf, les touristes sont « orientés » vers la boutique du village. L’organisation à Yabuli reste assez opaque. Sur les pistes, des « ski patrol » sont là pour « aider » les débutants, qui doivent ensuite leur donner de l’argent. « On ne sait pas trop qui ils sont ni ce qu’ils font. C’est du racolage et ça se fait beaucoup là-bas », détaille Julien.
Il finit sur une table la tête entre les cuisses d’une touriste
Lorsque le club de vacance à été racheté par Guo Guangchang, leader milliardaire chinois, en 2015, de nombreuses infrastructures sont sorties de terre. Que ce soit à la plage ou à la montagne. En voulant respecter l’esprit Club Med, les organisateurs ont buté face aux coutumes chinoises. Dans ce pays encore très conservateur, l’humour « made in Club Med » est un pari risqué. En témoigne une anecdote racontée par Julien : « Un jour, Jean-Paul est venu me voir en me disant qu’il avait une idée de spectacle », se souvient-il. Dès lors, le sportif au rire communicatif répète, dans son coin. Trois jours plus tard, devant une bonne centaine de clients, il finit sur une table la tête entre les cuisses d’une touriste, visiblement très gênée. « Je sais pas ce qu’il s’est passé. On a rien compris à son spectacle. C’était en anglais et les Chinois sont assez réservés. Dans le public, les gens se sentaient mal et la gêne était palpable », lance le Morzinois, avant de poursuivre : « Quelques jours après, il me dit qu’il veut le refaire ! Les autres moniteurs m’ont tous dit qu’il fallait que je lui parle pour éviter un deuxième bide. » Finalement, Jean-Paul remontera sur scène avec pour thème le ski. Comme quoi les idées les plus simples sont bien souvent les meilleures.
© photos de Julien Tissot